17.8.14

Univers, univers – Régis Jauffret


Il semble que le fait de se voir décerner le « Prix Décembre » soit décidément conditionné par l’engagement de l’auteur à délivrer une littérature d’avant-garde. Et comme toute activité d’avant-garde, cela ne signifie pas pour autant nécessairement la garantie d’un récit excitant ou gardant, à tout le moins, l’attention du lecteur plus ou moins victime de novations pas toujours heureuses.

En tous cas, je ne peux pas dire avoir été une « fashion victim » de cet « Univers, Univers » de Mr Jauffret. Bien au contraire. J’avoue même m’en être heureusement débarrassé largement avant une fin qui aurait tout aussi bien pu intervenir quelques centaines de pages plus tôt.

L’approche proposée était pourtant intéressante. Une femme entre deux âges se trouve dans l’obligation de faire cuire un gigot dans son four peu de temps avant de recevoir un couple de vagues amis plus ou moins barbants. Comme elle est franchement dépressive, Régis Jauffret saisit ce prétexte futile pour donner libre cours à une variation intelligente sur les multiples vies que ladite épouse et ménagère fait défiler, ou que l’auteur décide de faire décider, dans la tête de son personnage. Or, comme l’auteur a une imagination débridée, le récit coule un peu comme de l’écriture automatique, une idée en chassant une autre, un détail appelant une nouvelle interprétation.

De ce fait, le personnage change de nom souvent plusieurs fois par ligne, toujours plusieurs fois par page, épouse des hommes imaginaires ou fantasmés, meurt de mille et une façons pour toujours ressusciter plus dépressive encore qu’elle ne l’était quelques lignes auparavant. C’est brillant, au début du moins.

Bien sûr, Jauffret nous avait prévenu dès le départ que ce livre n’avait d’autres vocations que « d’exister à la place de rien, l’espace d’un instant perdu au milieu de l’éternité ».

Le problème cependant est qu’à force de tourner en rond, la force de l’effet se dilue au point d’en devenir insipide. Il est louable de vouloir surprendre son lecteur, condamnable que de s’acharner à le perdre. Au bout du compte, ne subsiste que le rien, le quasi-néant de la littérature.


Publié aux Editions Verticales – 2003 – Prix Décembre 2003 - 609 pages