22.10.14

Petits oiseaux – Yoko Ogawa


Yoko Ogawa aime à se saisir de situations au bord extrême de l’étrange et y faire évoluer des êtres à la fois fragiles, marginaux, à part, souvent eux-mêmes au bord d’une exclusion voulue ou subie. C’est avec ces éléments en tête qu’elle compose son dernier roman, « Petits oiseaux », qui est aussi une réflexion poétique sur le droit à la différence. Nous allons y suivre à rebours la vie de deux frères dont le dernier survivant, que les enfants appelaient « l’homme aux petits oiseaux », vient d’être retrouvé mort.

L’aîné de la fratrie se distingue par son incapacité, depuis l’âge de douze ans, à parler de façon normale. Le seul langage qu’il connaisse est le pawa, le langage des oiseaux avec lesquels il dialogue constamment, niché sans bruit, discret et presque invisible à un œil inattentif, dans un renfoncement de la volière à l’entrée de l’école primaire située à une courte distance de leur domicile. Seul son jeune frère le comprend et est capable d’avoir des discussions essentielles avec lui.

A la mort des parents, les deux frères entament une cohabitation à leur image : sans heurt, entrecoupée des gazouillis essentiels, ponctuée de sorties hebdomadaires réglées lors desquelles l’aîné va s’acheter un bonbon spécial dans une pharmacie presque toujours déserte et qui prend la poussière. Entre les frères, projeter de partir en vacances, imaginer le voyage, ce qu’il faut préparer suffit en soi à voyager. La vie, en dehors de la nécessité pour le plus jeune de se rendre à son travail, est recluse.

Lorsque l’aîné viendra à décéder, le plus jeune reprendra l’entretien de la volière, unique activité sortant de la routine, à laquelle le disparu s’adonnait. Il en fera une sorte d’art, de sublimation de la façon de s’occuper des oiseaux traités comme de véritables êtres à part entière, sensibles, expression à leur manière d’une harmonie et d’une beauté, notions essentielles à la culture nipponne. C’est sa façon à lui d’être aux autres, incapables qu’il est d’avoir des relations normales avec ses pairs humains. Mais parce que la vie n’est jamais un long fleuve tranquille, ce don de soi pour des petits êtres faibles et sans défense finira par être perçu par un danger par la communauté, par peur, par lâcheté aussi.

De façon extrêmement sensible, profondément poétique et subtile, Yoko Ogawa nous fait réfléchir sur ce qui donne vraiment sens à nos vies, sur ce que nous sommes capables de voir et d’entendre, sur le mal, les désillusions, les traîtrises que le commerce des hommes semble inéluctablement porter en soi. Comme toujours, ce seront les plus faibles, les plus délicats qui en pâtiront, victimes de leur timidité, de leur gentillesse ou de leur naïveté.

Encore un beau et délicat roman d’Ogawa, sans être cependant pour moi son meilleur.

Publié aux Editions Actes Sud – 2014 – 269 pages