16.11.14

Cour Nord – Antoine Choplin


Avec une écriture d’une grande sobriété, Antoine Choplin nous donne à voir le quotidien d’un père et son fils en prise à la déconfiture du monde ouvrier auquel ils appartiennent.  Une sorte de roman social, humain et touchant. Un roman où se superposent des enjeux sociétaux qui dépassent les protagonistes et leurs aspirations les plus profondes, celles qui seront à même de les tirer de la grisaille et de la désespérance qui bientôt menacent de les engloutir.

Depuis que l’épouse et mère est morte, ces deux hommes vivent dans un quotidien silencieux et terne. La parole y est rare car aucun des deux n’a appris à exprimer ses sentiments. De rares mots sont échangés lors des repas simples et frugaux et des courtes périodes passées ensemble dans une maison silencieuse et qui semble avoir perdu son âme.

Le père vit encore et surtout dans l’illusion d’une victoire dans un combat où s’affrontent le patronat, déterminé à fermer l’usine où lui et son fils sont employés, et les ouvriers en grève depuis dix-sept jours. Autant de jours qui commencent à traduire l’usure, la lassitude, la résignation quand tombera le verdict définitif, sans appel, de la fermeture de l’usine. Avec la fermeture, c’est l’environnement direct qui s’écroule et le bar qui vivait directement des bières consommées à la pause repas va devoir, lui aussi, fermer ses portes.

Alors commencera pour le père un combat solitaire. En se mettant en grève de la faim, il veut dire son déchirement, sa perte d’identité, son refus à la résignation quitte à y laisser la vie. C’est aussi un appel au fils, moins impliqué dans ce combat qu’il a suivi de loin, à venir lui témoigner un amour qui semble ne pas savoir s’exprimer de lui-même. Parce que cette grève fut aussi et surtout entamée pour garantir un boulot aux jeunes qui sinon vont fuir cette région du Nord en déshérence.

Le père et le fils ont d’autant plus de mal à communiquer qu’ils partagent peu en commun. Autant le père semble ancré dans les valeurs du passé, autant le fils vit vraiment en dehors de l’usine. C’est un passionné de jazz, trompettiste et membre d’un quartet qui bientôt va se produire dans un bar branché du Lille proche. Toute son âme est tournée vers la musique, vers l’excellence de la performance à travers laquelle il trouve l’évasion dont il a un besoin impératif pour surmonter la vacuité quotidienne.

Or, plus le père s’enfonce dans sa grève personnelle, plus le fils s’enfuit vers la musique, plus la communication se rompt. Pourtant, au bout, une fois leur mission accomplie, ces deux êtres vont savoir se retrouver et définir ensemble les bases d’un avenir commun possible.

Antoine Choplin fait preuve d’un grand talent pour dépeindre avec humilité et pudeur la profondeur et la puissance des sentiments qui agitent ces deux hommes confrontés au mal contemporain que sont le chômage et l’exclusion. Composé avec finesse, à la manière d’une partition où chaque instrumentiste sait écouter ses partenaires, ce roman est une belle réussite.

Publié aux Editions Le Rouergue – 2010 – 131 pages