14.2.15

Badenheim 1939 – Aharon Appelfeld


C’est par la métaphore, par le recours à une petite histoire aux apparences doucereuses qu’Appelfeld décide de nous donner à voir l’arrivée insidieuse de la barbarie nazie.

Nous sommes dans une petite station balnéaire, à Badenheim, en plein printemps. Les estivants ne semblent avoir d’autres préoccupations que de se régaler de délicieuses pâtisseries réalisées par un artisan juif qui n’a jamais quitté son poste depuis trente cinq ans. Une fois repus, ils se rendent avec nonchalance aux concerts donnés par un orchestre de musiciens juifs. Des musiciens qui jouent sans véritable passion sous la conduite d’un chef, juif lui aussi, plus préoccupé à régner en maître sur toute la communauté qu’à perfectionner sa musique.

Dans cette station, par un concours de circonstances qui semble trompeusement un hasard, la majorité des estivants est juive. Ils vivent une vie de relative insouciance qui peu à peu va se gripper.

L’habileté d’Appelfeld est de recourir à des éléments indirects pour mettre en place un univers kafkaïen et progressivement de plus en plus oppressant. Tout commence par la mise en place d’un prétendu service sanitaire qui impose le recensement de tous les juifs. Parce que la discipline est culturelle, chacun se fait recenser sans s’interroger et avec politesse. Il en résulte une encore plus grande fierté d’être juif et un relatif dépit pour ceux qui sont exclus de cette opération, minoritaires.
Puis, brutalement et insidieusement, la ville est bouclée. On ne peut qu’y entrer, à condition d’être juif, jamais en sortir sauf à ne pas être juif. Même les chiens qui tentent de forcer les postes de garde seront abattus sans merci.

Chaque jour, la vie devient plus difficile, par petites touches successives aux fins de rendre l’oppression plus supportable car progressive. Les mauvais jours arrivent et avec eux le rationnement et un cantonnement que l’impresario d’un compositeur de petite gloire n’aura de cesse d’expliquer comme étant le prélude à un voyage, anodin et de quasi plaisance, vers une Pologne vue comme une nouvelle terre promise parce que havre de la judéité.

La désillusion collective cessera à peine lorsqu’un petit matin, ils seront convoyés en masse dans des wagons à bestiaux où ils finiront entassés pour une destination que nous sommes en fait les seuls à connaître, a posteriori.

Derrière un texte simple, réalisé sous la forme de courts chapitres qui constituent des scénettes de théâtre, se cache une analyse impitoyable de ce que l’illusion collective peut entrainer comme aveuglement.


Publié aux Editions de l’olivier – 2007 – 166 pages