25.4.15

Markus presque mort – Valérie Sigward


Dans un très court roman qui se lit en moins d’une heure et avec une grande pudeur, Valérie Sigward nous donne à voir comment le passage du monde de l’adolescence à celui des adultes peut comporter sa part d’ombre ou de malheurs.

Dans ce coin de France où il n’y a pas grand-chose à faire, deux copains zonent tout le temps ensemble à deux sur une mobylette trafiquée, sans but précis mais sans rien faire de mal non plus. Pourtant, une nuit, ce sera le drame. Sur un chemin de halage perdu, ils seront percutés par une autre mobylette, de façon visiblement volontaire. Markus, le conducteur, subit de graves blessures qui le plongent dans le coma et vont le conduire au bord de la mort, à trois reprises. Franck, le passager et narrateur, aura les deux jambes fracturées.

Qui a bien pu les agresser et pourquoi ? Seul Franck sait, parce qu’il a vu ce qui s’est passé avant de sombrer dans l’inconscience. Ce n’est que bien des années plus tard, parce que le secret est intolérable en soi et encore plus intolérable à supporter seul, qu’il va se décider à relater l’insupportable vérité, faite de honte et de préjugés ridicules.

Markus, presque mort lors de cet accident, relevé du coma miraculeusement, ne revivra jamais vraiment. C’est aussi ce que nous comprendrons à travers les retrouvailles sobres et tristes de ces deux copains d’enfance que le malheur aura frappé trop tôt.

La souffrance des adultes, la bêtise humaine, l’attente en forme de point d’interrogation face à ce jeune intubé de partout, les paupières cousues et qui s’enfoncent de plus en plus vers une mort qui paraît certaine à ses proches sont dites avec une remarquable économie de moyens qui saura toucher le lecteur.


Publié aux Editions Julliard – 2009 – 102 pages

Fraternités – Une nouvelle utopie – Jacques Attali


Paru en 1999, cet essai du prolixe penseur qu’est J. Attali, pose la question de la voie que le monde doit absolument explorer pour éviter d’aller vers un écroulement ou une explosion radicale dont l’auteur est convaincu qu’elle nous guette avant la fin de ce siècle.

Pour étayer son propos, J. Attali tente de démontrer que les mécanismes fondamentaux qui sont en jeu sont ceux d’un marché qui s’est globalisé et concentré au point que 80% des richesses mondiales sont détenues par une proportion d’individus qui ne cesse de diminuer de façon drastique depuis la révolution industrielle de la fin du XIXème siècle.

Si nous laissons le marché opérer selon ses propres lois, la conviction de l’auteur est que le monde va se fragmenter autour de quelques groupes tentaculaires dont les objectifs dicteront les comportements dominants au point de déposséder les Etats de tout pouvoir économique et de les asservir à la réalisation des objectifs essentiellement capitalistes de ces monstres économiques. En parallèle, se développeront des réseaux virtuels, largement mafieux, vivant en toute autarcie et hors de tout contrôle. Tout ceci ne pourrait que mener, d’après l’auteur, à la radicalisation entre un monde de riches toujours plus riches mais de moins en moins nombreux, et une extrême majorité de pauvres avec un affaiblissement drastique des classe moyennes d’où un risque majeur de conflit armé entre un monde piloté par les USA et un autre par la Chine.

Face à cela, Attali propose une alternative fondée sur la Fraternité. Partant du principe que le plaisir de donner est identique à celui de recevoir et que la pérennité ne peut s’envisager qu’en luttant contre les mécanismes destructeurs de marché, il pose que seule la Fraternité est l’alternative viable, condition préalable à tout exercice de liberté quelle qu’elle soit, fondement même de l’égalité devant les chances.

Pour étayer sa démonstration, l’auteur se réfère aux multiples tentatives historiques qui ont exploré des possibles et posé les bases de notre monde actuel. Malheureusement, le recours aux références de Thomas More, le fondateur de la pensée utopique et qui n’hésita pas à sacrifier sa vie et ses honneurs à ses idées aux services d’une plus grande fraternité,  à Karl Marx qui engendra les dérives staliniennes ou maoïstes que l’on sait, surtout si elles sont la plupart du temps survolées aux quelques lignes elliptiques, ne fait pas la démonstration. Elle tend même à nous convaincre du contraire !

Comme, dans ce qui devrait constituer l’essentiel du recueil mais n’en représente qu’un quart environ en fait, J. Attali peine à nous convaincre du bienfondé de sa théorie, on referme le livre en se disant que c’est plutôt raté car fondamentalement superficiel. Espérons que la contre-conclusion qui prédit l’écroulement de nos sociétés du fait des tensions telluriques engendrées par les marchés ne sera, pour sa part, pas la bonne. Il est à craindre, malheureusement que l’égoïsme et la maximisation des intérêts particuliers et court-termistes qui constituent le moteur de nos sociétés de plus en plus globales, ne nous y mène tout droit.


Publié aux Editions Fayard– 1999 – 233pages

19.4.15

Lettre d’une inconnue – Stefan Zweig


Je me souviens avoir découvert Stefan Zweig il y a maintenant plus de trente ans, à une époque où peu commençait à s’intéresser à lui grâce aux conseils avisés de ma respectée professeur de philosophie de Terminale Scientifique. Ce fut un choc et je me mis à dévorer tout ce qui devenait progressivement disponible en édition française.

Reprendre la lecture de cet auteur majeur du XXeme siècle classique allemand longtemps plus tard, la maturité venue, reste un régal pour l’esprit. Zweig avait un don incroyable pour faire d’une histoire simple un instant d’émotion, d’intensité dramatique en usant d’une langue belle sans être ostentatoire.
Dans ce court opus, c’est l’éternel ballet entre une femme aimante et un homme volage qui est mis en scène mais avec originalité, pudeur, sans le moindre esprit de revanche. Pourtant, cette inconnue qui se confesse en adressant une longue missive à un homme aurait bien des raisons d’en vouloir à celui qui fut, toute sa vie, son amant malgré lui.

Amant malgré lui car, bien que cette figure d’écrivain célèbre, double de l’auteur sans doute, collectionnât les conquêtes féminines, ce fut cette femme qui le choisit, l’aima en dépit de lui-même, en le lui dissimulant.

Arrivée au seuil de la mort, frappée trop tôt par la maladie et la mort de son jeune fils, cette femme décide de prendre la plume pour dire qui elle fut vraiment pour lui. Elle l’aima en silence et avec dévotion dès treize ans, adolescente indigne de son regard, maladivement obsédée par ce jeune voisin de pallier inaccessible. Elle devint sa maîtresse à dix-huit ans car ce fut elle qui provoqua la rencontre, suscita une conquête gagnée d’avance, sûre de sa beauté et de ses atours, cédant sans la moindre résistance quitte à passer pour une cocotte. Il ignorait déjà que la frêle voisine s’était transformée en femme fatale.

Quand, après quelques nuits d’amour, il reprit le cours de sa vie de dandy, elle disparut en silence, puis se résigna pour, à nouveau, plus tard, sans qu’il la reconnût, devenir une nouvelle conquête d’une nuit.

Prise et délaissée, reprise et baisée, pour reprendre les termes de la belle préface d’E. Zylberstein, elle accepta tout par amour total, unilatéral jusqu’à lui cacher l’existence d’un fils qu’il ne connut jamais. Elle ne vivait que pour ses moments d’extase, de fusion charnelle avec un amant attentionné, jamais rassasié de trop de femmes.

On assiste à l’une des plus belles pages d’amour dans ce court roman, un amour qui pousse à toutes les folies, à tout abandonner en sachant qu’on le sera bien vite ensuite, sans espoir de retour mais sans rien demander non plus. Seule une femme peut être capable d’un tel sacrifice et c’est ce que Zweig a su si brillamment mettre en scène.


Publié aux Editions Stock – réédition 2009 – 106 pages

2.4.15

La promesse – Jean-Guy Soumy


Jean-Guy Soumy traîne la réputation, totalement inappropriée, d’être un écrivain du terroir… Quelle stupidité ! Commencez donc par lire « Le Congrès », formidable roman qui montre la puissance d’une écriture, la capacité à rendre compte des situations psychologiques complexes le tout, en partie, construit à partir d’un fait historique. Toutes choses que nous retrouvons dans cet autre absolu bijou qu’est « La Promesse ».

Dans la France de la fin du XVIIIème siècle, attenter à sa propre vie, se suicider donc, est considéré comme un crime. Contre l’Eglise encore toute puissante avant la Révolution, contre Dieu mais aussi contre le Roi, garant de la vie et de la protection de ses sujets. Un acte d’une telle gravité qu’il conduit à des mesures d’une sévérité à peine concevable. La victime est conservée, éviscérée, embaumée dans l’attente de son procès. Comme il y a crime, elle est donc emprisonnée (au beau milieu d’autres détenus bien vivants eux !), le temps pour la Justice d’instruire le dossier. Une instruction qui passe par la nomination décidée par le seul juge représentant du pouvoir royal d’un homme, issu de la famille et ayant bien connu la victime, sur lequel est transférée l’identité de la victime au point où il en devient à la fois le représentant vivant symbolique et qu’on s’adresse à lui sous l’identité de celle-ci et celui qui est chargé de préparer sa défense.

Car en cas de condamnation, les peines sont terribles. Confiscation des biens au profit du Roi, interdiction d’inhumation. Le corps est traîné en ville sur une claie, face contre terre avant d’être pendu par les pieds pendant vingt-quatre heures et d’être remis à la Voirie afin d’être dispersé avec les cadavres d’animaux. Sans oublier l’effacement de tous les registres, niant ainsi la réalité d’une existence qui aurait osé avoir décidé de sa propre fin.

C’est toute cette procédure qui se met en route au décès d’une jeune femme, retrouvée au pied de la tour de son château. L’enquête rapidement menée conclura à la défénestration volontaire. Du coup, c’est son cousin qui se voit assigné à représenter une parente qu’il a connue enfant et adolescente et avec laquelle il n’a plus entretenu la moindre relation depuis quinze ou vingt ans.

Lui est le riche héritier, l’ainé d’une grande famille de négociants bordelais. Elle fut la fille unique d’une vieille famille aristocratique ruinée par les placements désastreux de son père.

Désormais, il doit accepter de se glisser dans la peau d’une jeune femme dont il retrouve la dépouille troublante dans les geôles sordides et puantes de la prison bordelaise. Puis devenir celle-ci tout en restant lui-même. Plaider coupable, comme on l’y incite, pour expédier les choses et reprendre sa vie d’homme d’affaires puis reprendre une épouse, après le décès en couche de la sienne, sous les intrigues constantes d’une mère manipulatrice et odieuse. Ou jouer son rôle, enquêter, tenter de comprendre et de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un suicide qui conduirait à l’infamie.

C’est cette option qu’il choisira par honneur, par respect vis-à-vis d’une jeune fille dont il a partagé un temps l’existence, par défi envers sa mère aussi. Une option dangereuse pour la santé psychologique. Une option qui oblige à replonger dans un passé occulté et qui va ramener à la conscience bien des choses ou des situations que sa mère était parvenue à étouffer. Une option qui met en danger la stature sociale voire les intérêts de son entreprise florissante.

Au terme d’une enquête haletante, d’un procès à retournements et d’une introspection douloureuse finira par surgir un sublime secret.

Tout cela est superbement écrit, incroyablement documenté, formidablement réalisé et constitue une réussite absolue.


Publié aux Editions Robert Laffont – 2014 – 221 pages