19.4.15

Lettre d’une inconnue – Stefan Zweig


Je me souviens avoir découvert Stefan Zweig il y a maintenant plus de trente ans, à une époque où peu commençait à s’intéresser à lui grâce aux conseils avisés de ma respectée professeur de philosophie de Terminale Scientifique. Ce fut un choc et je me mis à dévorer tout ce qui devenait progressivement disponible en édition française.

Reprendre la lecture de cet auteur majeur du XXeme siècle classique allemand longtemps plus tard, la maturité venue, reste un régal pour l’esprit. Zweig avait un don incroyable pour faire d’une histoire simple un instant d’émotion, d’intensité dramatique en usant d’une langue belle sans être ostentatoire.
Dans ce court opus, c’est l’éternel ballet entre une femme aimante et un homme volage qui est mis en scène mais avec originalité, pudeur, sans le moindre esprit de revanche. Pourtant, cette inconnue qui se confesse en adressant une longue missive à un homme aurait bien des raisons d’en vouloir à celui qui fut, toute sa vie, son amant malgré lui.

Amant malgré lui car, bien que cette figure d’écrivain célèbre, double de l’auteur sans doute, collectionnât les conquêtes féminines, ce fut cette femme qui le choisit, l’aima en dépit de lui-même, en le lui dissimulant.

Arrivée au seuil de la mort, frappée trop tôt par la maladie et la mort de son jeune fils, cette femme décide de prendre la plume pour dire qui elle fut vraiment pour lui. Elle l’aima en silence et avec dévotion dès treize ans, adolescente indigne de son regard, maladivement obsédée par ce jeune voisin de pallier inaccessible. Elle devint sa maîtresse à dix-huit ans car ce fut elle qui provoqua la rencontre, suscita une conquête gagnée d’avance, sûre de sa beauté et de ses atours, cédant sans la moindre résistance quitte à passer pour une cocotte. Il ignorait déjà que la frêle voisine s’était transformée en femme fatale.

Quand, après quelques nuits d’amour, il reprit le cours de sa vie de dandy, elle disparut en silence, puis se résigna pour, à nouveau, plus tard, sans qu’il la reconnût, devenir une nouvelle conquête d’une nuit.

Prise et délaissée, reprise et baisée, pour reprendre les termes de la belle préface d’E. Zylberstein, elle accepta tout par amour total, unilatéral jusqu’à lui cacher l’existence d’un fils qu’il ne connut jamais. Elle ne vivait que pour ses moments d’extase, de fusion charnelle avec un amant attentionné, jamais rassasié de trop de femmes.

On assiste à l’une des plus belles pages d’amour dans ce court roman, un amour qui pousse à toutes les folies, à tout abandonner en sachant qu’on le sera bien vite ensuite, sans espoir de retour mais sans rien demander non plus. Seule une femme peut être capable d’un tel sacrifice et c’est ce que Zweig a su si brillamment mettre en scène.


Publié aux Editions Stock – réédition 2009 – 106 pages