18.5.15

Ceux qu’on jette à la mer – Carl de Souza


Lorsque Tian Sen, un jeune Chinois d’une vingtaine d’années, embarque sur le Ming Sing 23, il ne sait pas encore que c’est pour vivre un enfer. Comme les deux cents autres passagers clandestins de ce cargo miteux et rouillé, il fuit une Chine sans perspectives pour rejoindre Haïti, puis de là, l’Amérique, promesse utopique d’un avenir meilleur. Mais, au fond de lui-même, il n’est pas certain de ses réelles motivations et ce long voyage en mer va constituer pour lui, au-delà des épreuves terribles qui vont le joncher, un moyen d’y voir clair sur lui-même, sur ce qu’il désire être, sur l’acceptable ou non, sur ceux dont il découvrira, au loin, qu’il les aime et qu’il n’aurait jamais dû les quitter.

Logés à fond de cale avec interdiction de se montrer lorsque l’immonde rafiot croise les côtes, les deux cents malheureux vont se trouver livrés à la seule volonté d’un homme, le véritable maître à bord, Yap-Chef de bateau comme ils ne vont pas tarder à le surnommer.

Dès qu’ils seront au large commenceront les coups, les brimades, les confiscations. Yap fait régner une terreur constante pour les garder sous son contrôle. En les sous-alimentant, en refusant de soigner les malades de plus en plus nombreux faute de conditions sanitaires minimales, il compte s’assurer une domination sans partage avec un équipage et un capitaine à sa merci. Yap est un homme de peu de foi que Ming Sing va peu à peu décoder en tentant de l’apprivoiser. Cet ancien garde rouge a fait du trafic de boat people un business et sa spécialité semble bien être un voyage sans retour qui sème les cadavres à la mer au fur et à mesure que la maladie, la sauvagerie ou la violence frappent.

Plus les jours passent, plus l’angoisse monte. Une angoisse entretenue par la manipulation, Yap n’hésitant pas à alterner faveurs et punitions pour mieux monter les clandestins les uns contre les autres, juguler toute tentative de mutinerie qui pourtant finira par arriver avant d’avorter confusément.
Pour beaucoup parmi les clandestins comme les membres d’équipage, la mort sera au bout de la poupe et le voyage une totale désillusion au fur et à mesure que les jours passent, que la nourriture s’avarie, que le fuel s’épuise sans la moindre terre en vue.

Chaque jour qui s’écoule offre au jeune Tian Sen l’occasion de mûrir. Lui qui se réfugiait sous le casque de son walk-man pour s’isoler de l’horreur et des autres ne pourra plus fuir lorsque l’appareil finira par rendre l’âme. Lui qui aura vainement tenté de protéger certains des maltraités, de les soigner avec les moyens du bord, de leur offrir une cérémonie funéraire dans la tradition va apprendre à se jouer des autres, à survivre alors que tout autour la mort rôde. Au bout du compte, c’est un homme aguerri qui aura survécu aux multiples pièges tendus, aura appris la ruse tout en gardant intacte son âme, ayant refusé les compromissions, qui émergera.

Carl de Souza aura trouvé là un thème poignant pour son roman. On regrettera cependant un certain manque de maîtrise littéraire, une absence de souffle, voire, parfois, une certaine confusion dans l’intrigue qui font que ce livre, qui aurait pu être excellent, n’en est au mieux que bon.


Publié aux Editions de l’Olivier – 2001 – 205 pages