15.7.15

Concerto pour la main morte – Olivier Bleys


Les voyages peuvent être une source bienvenue d’inspiration. C’est en tout état de cause le cas pour Olivier Bleys qui a eu la chance de faire partie des huit écrivains sélectionnés pour aller découvrir les immensités russes à bord de l’Orient-Express puis, et surtout, d’un navire de croisière qui les a emmenés de Krasnoïarsk, en Sibérie, jusqu’à 300 kilomètres au nord du cercle polaire. Un voyage qui nécessairement suscite l’imaginaire, imprime des images qui deviennent autant de sources d’inspiration.

On sait depuis le très joli roman « Le colonel désaccordé » qu’Olivier Bleys aime la musique. C’est autour d’elle qu’il construit donc son nouveau roman comme le titre le laisse entendre sans ambiguïté.

Pour l’auteur, la musique est source de surprises et, surtout, de situations porteuses de décalage dans lesquelles les personnages dont on attend qu’ils se comportent selon des normes bien établies deviennent les sujets de troubles et de confrontations face à des défis a priori insurmontables.

Ici, c’est un pianiste plutôt raté qui est au centre de l’œuvre. Colin débarque un beau matin au pied d’un village perdu de Sibérie avec le piano qu’il a acheté à bord et laissé sur les rives sablonneuses du fleuve. Les premiers gels et la neige menacent. Il lui faut trouver un abri qui lui sera offert par un solitaire du hameau relativement pouilleux où Colin a choisi de s’arrêter.

Une fois le piano transbahuté dans la masure, Colin va révéler son secret. Sans aucune explication, soudainement sa main gauche refuse de lui obéir dans le deuxième mouvement du deuxième concerto pour piano de Rachmaninov. Tout le reste du répertoire ne pose aucun problème, seul ce concerto, qu’il a joué jusqu’alors sans problème, lui résiste. C’est pour tenter de vaincre cette main gauche qui lui résiste qu’il a élu domicile dans ce trou perdu, une semaine avant de devoir donner l’œuvre en concert.

Commence alors une lente et brillante dérive orchestrée par Olivier Bleys. Une dérive sur fond de vodka avalée à grands traits, de confessions progressives qui nous révèlent peu à peu les vies réelles ou rêvées des protagonistes. Mais aussi une découverte de soi, une plongée poétique au cœur de ce qui nous constitue grâce à de sensationnelles séances d’hypnose réalisées sous le contrôle d’un ancien cosmonaute désormais ermite engoncé au cœur de la glaciale forêt sibérienne.

Olivier Bleys parvient à dérouler un récit qui oscille comme ses personnages sans cesse entre transe et réalité, entre la brutalité de la nature qui les entoure et la poésie qui les habite ou les hante, entre obsessions refoulées et libération de la parole. La langue y est d’une beauté subtile, hypnotique au point de vous conduire de bout en bout dans l’un des plus beaux livres écrits jusqu’ici par O. Bleys.


Publié aux Editions Albin Michel – 2013 – 234 pages