14.10.15

L’année du déluge – Eduardo Mendoza


Mendoza tire clairement son inspiration, dans ce roman paru en 1993 dans sa version française, du mythe de Don Juan. En mettant aux prises une religieuse décidée à réhabiliter un vieil hospice devenu indigent avec le grand propriétaire terrien local Don Augusto Axeilà auprès de qui elle est venue quémander une aide financière, Mendoza va habilement créer les conditions d’une séduction contre nature.

Don Augusto fait penser à certains de ces héros Sadiens qui voient en la possession du corps des femmes et à l’usage que l’imagination perverse peut en faire, un moyen de conchier l’Eglise et la Religion. Sans toutefois la violence bestiale d’un Sade mais toujours seulement préoccupé d’arriver à ses fins en vue de faire plier la volonté de l’autre, d’annihiler ses croyances, de lui prouver, par les faits et non par le raisonnement, que le chemin emprunté ne peut mener que nulle part.

Autour de ce drame qui verra la mère religieuse succomber au séducteur impénitent comme une nouvelle démonstration d’une volonté de possession et de négation, Mendoza imagine un roman haut en couleurs qui va donner l’occasion à la pécheresse, en quelque sorte, de se racheter, d’assurer sa faute et d’y trouver même la raison qui conduira le reste de sa vie et la fera passer, malgré elle,  pour une quasi sainte, comme si le Ciel et le mérite ne pouvaient se gagner que dans l’échec assumé, le repentir pour mieux repartir de l’avant.

Dans un style enlevé, Mendoza décrit cette Espagne des années cinquante encore très fortement agricole, ancrée dans la tradition, rendue insécurisée par la présence de bandes de bandits de grands-chemins à la fois gredins et gentilshommes. En cette année qui voit la région de Bassora noyée sous un déluge de pluie jetant les plus pauvres vers le désespoir, accentuant le clivage entre les riches détenteurs du pouvoir et le peuple qui se relève à peine de terribles années de guerre civile, nombreuses seront les occasions données à la religieuse de montrer sa vaillance, son don de soi, cherchant ainsi dans l’action un moyen d’oublier la faute cependant pleinement assumée et vécue comme un unique moment d’illumination dans une vie jusqu’ici faite exclusivement de renoncements.

C’est ce mélange d’actions picaresques et hautes en couleurs et d’introspection qui fait le charme et l’intérêt de ce roman un peu à part dans l’œuvre du grand romancier qu’est Mendoza.


Publié aux Editions du Seuil – 1993 – 163 pages