26.12.15

Profession du père – Sorj Chalandon



On ne choisit pas ses parents et le hasard fait que l’on tombe parfois mal, voire très mal. Mais cela, l’enfant ne peut pas le comprendre car, pour lui, ses parents sont des dieux, des référents absolus, ceux qui définissent son monde et ses normes. Ce n’est qu’une fois adulte que celui ou celle qui aura connu une enfance perturbée pourra éventuellement comprendre s’il ou elle en a la force et si l’entourage favorise ce cheminement.

Que peut répondre le jeune Emile Choulans quand, à chaque rentrée scolaire, on lui pose inlassablement la question de la profession du père ? Jamais celle de la mère censée, par définition, être au foyer car nous sommes au tout début des années soixante dans une France péniblement en route vers la modernité, commençant peu à peu à se remettre d’un conflit mondial qui l’a laissée ravagée.

Réponse difficile en effet quand le père se dit agent secret au service de l’OAS et de la CIA, déterminé à assassiner le Général de Gaulle parce qu’il vient de lâcher l’Algérie Française.
Et puis, un père qui dit avoir été parachutiste, compagnon de la Résistance, ami personnel de De Gaulle pendant la guerre, pasteur luthérien, comploteur actif pour extrader Noureev, c’est forcément un héros aux yeux d’un gamin de cinq ans. Alors, quand ce géant vous bât comme plâtre au moindre prétexte, à coups de poing ou de ceinturon, qu’il vous enferme à genoux toute la nuit dans un placard, tout cela est normal et un gamin se dit qu’il l’a mérité après tout. Surtout quand la mère n’intervient pas, voire soutient. De toutes façons, elle subit le même sort, même si elle a gagné le droit de travailler. Elle aussi connaît les humiliations domestiques, les coups, les cris incessants.

De facto, dans cet univers de violence familiale, quand votre héros décide de faire de vous un agent actif de l’OAS à douze ans en vous dressant à coups de pompes (dans tous les sens du terme), vous ne pouvez que trouver cela normal même si, ce qui vous passionne, c’est le dessin au point d’avoir été surnommé « Picasso ».

Mais, on aura compris grâce à la séquence magistrale d’ouverture du roman sur les obsèques glaçantes de ce père simplement suivies, de loin et sans la moindre émotion, par l’épouse et le fils que du temps aura passé et qu’un travail de reconstruction personnelle aura été entrepris. C’est ce récit à rebours qu’entreprend Sorj Chalandon de façon magistrale, démontant pièce à pièce la machine infernale de ce qui n’est rien d’autre qu’une folie paranoïaque d’un père manipulateur pervers et donc destructeur. Une descente dans la folie à laquelle les survivants auront échappé, chacun à leur manière. Et puis, il y aura cette fabuleuse phrase finale qu’on vous laissera découvrir et qui résume tout.

Un des grands romans de Chalandon.


Publié aux Editions Grasset – 2015 – 316 pages