28.1.16

Les enfants de choeur de l’Amérique – Héloïse Guay de Bellissen


Etrange objet littéraire que ce deuxième « roman » de l’ex-libraire passée de l’autre côté du comptoir depuis. Un objet tellement déroutant que, parvenu à la moitié de la prose aussi délirante que déjantée, j’ai enfin décidé de lire la quatrième de couverture afin de comprendre enfin le propos de l’auteur qui m’avait jusqu’alors totalement échappé… Or donc, ne commettez pas la même erreur avant de vous embarquer dans un bouquin qui secoue et que l’on croit souvent avoir été écrit sous l’emprise de drogues dures.

A l’aube des années quatre-vingt, l’Amérique s’apprêtait à vivre de nouveaux drames. Parmi les innombrables crimes que permet la circulation libre d’armes dans un pays où la violence est omniprésente, deux actes allaient frapper les esprits. L’assassinat de John Lennon, sous les yeux de Yokohama, par Mark David Chapman et, à quelques mois d’intervalles, la tentative d’assassinat de Ronald Reagan par John Hinckley.

Deux actes insensés dont Héloïse Guay de Bellissen fait le prétexte pour tisser une construction parallèle qui nous balance sans concession de la vie de Mark à celle de John, de leur enfance au passage à l’acte. Mark était un petit gros obnubilé par les Beatles. John, un jeune homme solitaire, amoureux obsessionnel de Jodie Foster découverte dans Taxi driver et devenue l’égérie de la presse people.

Deux hommes blancs, paumés qu’un intermédiaire imaginaire, l’écrivain Holden, coincé dans la tête de ces deux détraqués et servant donc de passe-muraille de l’un à l’autre nous raconte tout en étant lui-même à la poursuite désespérée de son successeur, l’homme de lettres Salinger à qui il tente de demander qu’il écrive une suite (sans que l’on ne sache trop bien de quelle suite il s’agisse là…). Vous me suivez toujours ?

De ce jeu de miroirs pour détraqués complets relevant de l’asile ou de la chaise électrique, Héloïse Guay de Bellissen fait un prétexte pour décrire dans une langue imagée et très libre les échecs d’une société qui laisse de plus en plus de gens de côté, vivant à toute allure, mélangeant une apparente tolérance décontractée avec une sélection farouche.

Saluons l’originalité d’un livre abrasif, cocasse et en marge. Un ouvrage qui pourra trouver son public mais qui risque d’en laisser en chemin un grand nombre tant suivre la pensée et le fil de l’auteur relève d’une épreuve.


Publié aux Editions Anne Carrière – 2015 – 236 pages

22.1.16

Ce cœur changeant – Agnès Desarthe


Auréolé du Prix Littéraire du Monde 2015 et bien considéré par la critique, le dernier roman d’Agnès Desarthe (un genre auquel elle revient ici après s’être adonnée à des nouvelles et des essais) semble recéler bien des promesses.

Fiction romanesque et roman initiatique au féminin forment les deux piliers sur lesquels l’auteur construit une fresque qui est aussi celle de la vie mouvementée d’une femme que nous allons suivre du début du XXème siècle à l’aube de la deuxième guerre mondiale.

Puisant dans ses connaissances de la philosophie, du grand roman classique et de la poésie (à laquelle le titre est emprunté puisqu’il est tiré d’un vers d’Apollinaire), Agnès Desarthe se donne un mal fou pour nous convaincre de suivre l’existence de son héroïne. Quittant un  château au Danemark où elle a mené, enfant, une vie de grande bourgeoise, coincée entre un père officier de carrière  absent, ayant abdiqué toute forme de revendication et de volonté et qui est la risée de tous, une mère egocentrique et croqueuse d’hommes et une nourrice toute-puissante, voici une frêle jeune fille de moins de vingt ans qui débarque dans la capitale crasseuse et insalubre qu’est le Paris du début du XXème siècle.

Sans le sou car en rupture de ban, sans autre connaissance que trois langues et celle des sciences ménagères, elle va devenir la proie des exploiteurs en tous genres tout en connaissant, pour une période donnée, une vie de luxe une fois devenue la maîtresse d’une danseuse de l’Opéra Comique.
On pourra donc voir dans ce roman une sorte d’hommage au genre quelque peu misérabiliste de Zola tant la vie de l’anti-héroïne semble porter en soi de souffrances et de déconvenues. Certes. Mais, il n’y a ici ni le souffle de Zola, ni sa science de la construction.

Si certains passages parviennent à soulever un sourire, si les personnages sont bien troussés (à tous points de vue d’ailleurs…), si les références littéraires sont évidentes, il est extrêmement difficile d’adhérer  à un récit qui nous impose parfois des séquences d’un grotesque consommé et où bien des traits semblent soulignés au gros marqueur. Nous voici revenus avec Cosette en quelque sorte ; du coup, la question est : pourquoi et pour quoi faire quand tout cela a déjà été écrit et en mille fois mieux ?

Bref, on risque de s’ennuyer ferme et, d’ailleurs, ce fut mon cas et c’est avec un immense soupir de soulagement que j’ai refermé ce roman …

Publié aux Editions de l’Olivier – 2015 – 338 pages


20.1.16

Ma grand-mère vous passe le bonjour – Fredrik Backman


Difficile pour un enfant, quand on n’est pas tout à fait comme les autres, parce que surdoué, en avance sur son âge, curieux de tout de décortiquer, de comprendre le monde des adultes. Difficile aussi d’accepter la mort de sa grand-mère, quand, en plus d’être une petite surdouée de presque huit ans on perd celle qui faisait le sel de votre vie, celle qui avait compris que vous étiez tellement différente, tellement unique et tellement fragile aussi qu’il fallait vous protéger des autres et de vous-même. Encore plus compliqué est ce deuil quand, en plus d’être cette figure tutélaire, votre grand-mère fut toute sa vie une femme intrépide, ne respectant pas les conventions, n’en faisant qu’à sa tête tout en gagnant le profond respect de toutes celles et ceux qu’elle aura sauvés sur les zones de guerres où elle intervenait comme chirurgien volontaire.

C’est avec un sens de l’observation exceptionnel, une compréhension intime de celui que l’on devine avoir été lui-même un surdoué que Fredrik Backman compose son deuxième roman après le succès aussi éclatant qu’inattendu de « Vieux, râleur et suicidaire ». Un roman touchant parce qu’il a cette capacité à nous replonger au cœur de l’enfance, des terreurs qu’elle contient, de cet apprentissage constant de la vie et des échappées ou constructions imaginaires qu’elle permet et sur lesquelles l’enfance elle-même  s’élabore. Un livre émouvant parce qu’il parvient à nous faire rire aux éclats malgré des situations souvent dramatiques et parce le monde vu par les yeux d’une gamine à tous points exceptionnelle, Elsa, résonne de façon forcément hilarante dans nos yeux d’adultes plus ou moins désabusés.

Cette faculté de l’auteur à nous faire nous sentir, nous les lecteurs, comme la petite Elsa doit beaucoup au fait d’imaginer un conte sur le roman qui sert de fil conducteur et de décodeur. Car la grand-mère d’Elsa fut aussi une grande raconteuse d’histoires, une inventrice insatiable de personnages qu’elle faisait vivre en parlant une langue secrète, connue seulement d’elle et de sa petite-fille, du moins le pense Elsa.

Des histoires auxquelles Elsa va sans cesse se référer pour interpréter ce qui se passe dans ce monde des adultes si bizarres maintenant que sa grand-mère n’est plus là, elle qui est la fille de parents divorcés, ballotée entre deux familles recomposées et deux parents fondamentalement absents bien que charmants mais un peu perdus avec cette enfant qu’ils ne parviennent pas tout-à-fait à comprendre et moins encore à canaliser.

Des histoires qui vont trouver un nouvel écho parce que sa grand-mère, au-delà de la mort, a semé une succession de lettres qu’il va lui falloir trouver et comprendre. Autant de petits cailloux d’une sorte de jeu de piste géant conçu pour lui faire rencontrer ceux et celles qui ont vraiment compté pour sa grand-mère, lui faire comprendre qui cette femme fut vraiment, lui révéler ce qu’elle a toujours maintenu secret. Bref, la faire grandir par la découverte, le questionnement, la confrontation à cet inconnu qui souvent paralyse et aux dangers qui vont lui permettre de comprendre que d’autres, missionnés par cette fabuleuse grand-mère, seront là désormais pour prendre soin d’elle à leurs manières jusqu’à ce qu’Elsa soit suffisamment prête pour affronter le monde réel par elle-même.

Il y a de la magie, une poésie, une douceur infinies dans ce très beau roman où le fantastique se mêle au quotidien et où le monde des adultes, avec ce côté souvent ridicule, mesquin, étroit se débat sans cesse avec une éducation où la générosité, l’ouverture aux autres ont été fortement inculqués.
Un vrai coup de cœur.


Publié aux Editions Presses de la Cité – 2015 – 432 pages

16.1.16

Et ne reste que des cendres – Oya Baydar


Oya Baydar, une grande romancière turque contemporaine, reste encore méconnue en France. Ses ouvrages tentent de dire la Turquie actuelle et la façon dont la société évolue, le plus souvent par soubresauts successifs.

A ce titre, « Et ne reste que des cendres » est un précieux témoignage balayant la Turquie sur quasiment toute la seconde moitié du XXème siècle. Une Turquie marquée par les coups d’état, la mainmise des militaires sur le pouvoir politique et économique pendant des décennies, la répression violente allant jusqu’aux assassinats purs et simples des opposants politiques puis la montée d’un Islamisme qui se forge beaucoup par opposition à ce qui est considéré comme une menace : les Kurdes.

C’est au sein de ce maelstrom difficile à comprendre pour un Européen occidental que nous plonge la romancière. Un monde de tensions intenses que nous vivons et observons à travers les yeux d’une journaliste, Ülkü, qui, sans être tout à fait le double d’Oya Baydar lui emprunte néanmoins beaucoup de son histoire et de ses convictions.

Très tôt,  Ülkü s’engage auprès des Communistes turcs protestant contre la répression contre les Kurdes. Elle vit en même temps une impossible histoire d’amour, elle la jeune fille brillante issu d’un milieu populaire, avec un jeune homme appartenant à la haute bourgeoisie turque. Une passion torride mais qui prendra brutalement fin parce que la famille du jeune homme a écrit un autre destin pour lui. Un destin qui passe par un mariage dans la bonne classe et pas avec une militante sans biens.

De cette histoire d’amour, Oya Baydar va faire le fil conducteur sur plusieurs décennies pour nous faire vivre de l’intérieur la peur de ceux qui luttent, les arrestations sommaires, les tortures, les meurtres. Une révolte sourde d’abord puis de plus en plus marquée et qui finira par conduire les militaires dehors après bien des morts, bien des souffrances et bien des injustices. Un monde où des idéalistes s’opposent à des carriéristes. Un monde qui pousse des générations entières à fuir vers des contrées démocratiques et sécurisées. Un monde où les histoires personnelles et tout ce qu’elles portent de malheur, d’interrogations, de choix cornéliens à faire s’entrechoquent avec l’Histoire d’un pays secoué de toutes parts.

Très documenté, puisque l’auteur a elle aussi vécu ceci de l’intérieur et de très près, le roman présente l’avantage de nous donner à mieux comprendre l’histoire récente d’un pays dont nous ne voyons que la facette touristique, les attentats islamistes et la radicalisation progressivement despotique d’un pouvoir à la peine. Mais il présente aussi l’inconvénient majeur de nous précipiter dans des lieux inconnus cités à la pelle dans la langue d’origine, de nous abreuver de sigles de partis, de noms de politiciens dont nous, les non turques, ne savons strictement rien au risque de décourager des lecteurs dans un roman par ailleurs fort long mais superbement écrit et traduit.

Bref, un roman qui ne touchera au fond qu’un public élitiste ou curieux. A savoir avant de s’y lancer.


Publié aux Editions Phébus – 2015 – 568 pages

9.1.16

Puissions-nous être pardonnés – Amy Homes


Née en 1961, Amy Homes poursuit une carrière de journaliste, de scénariste pour la télé et le cinéma et de romancière avec des livres originaux et qui l’ont fait remarquer.

Il n’est rien de dire que « Puissions-nous être pardonnés » marque une étape majeure et forme une sorte de consécration quant à l’entrée de son auteur dans le gotha littéraire américain de ce début de siècle. Avant que de devenir un roman, « Puissions-nous être pardonnés » fut une nouvelle remarquée d’ailleurs par Salman Rushdie qui la sélectionna comme l’une des meilleures nouvelles dont il publia un recueil en 2007. Autant dire que l’idée était bien née, porteuse d’espérance.

Et cette espérance n’aura pas été déçue tant Amy Homes déroule avec un talent remarquable une histoire savoureuse menée tambour battant nous projetant au cœur-même de la société bourgeoise américaine dont elle va dénoncer avec un mélange explosif d’humour et de gentille férocité (si j’ose cette oxymore) les travers.

Très vite, dans un roman qui comporte pourtant près de six cents pages qui jamais ne se relâchent, Amy Homes met en place les fondements d’une histoire explosive bien que pas si improbable que cela. En moins de vingt-cinq pages, nous aurons assisté à un accident de la route mortel provoqué par George, un producteur TV plus ou moins psychopathe, avant que celui-ci n’assassine sa femme en lui défonçant le crâne à coups de la lampe de chevet après qu’il l’eut trouvée au lit avec son frère Harold.
Une fois George placé en hôpital psychiatrique, Harold justement largué par son épouse avec laquelle il ne s’entendait plus, voit sa vie bouleversée. Modeste Professeur d’une obscure Université américaine et spécialiste de Nixon sur lequel il tente en vain depuis des années de mener à bien un livre qui ferait date, le voici en charge de deux enfants adolescents, d’un chien et d’une chatte au sein d’une maison qui n’est pas la sienne et source de bien des malheurs.

Dès lors, l’auteur va multiplier les séquences irrésistibles devenant autant de prétextes pour souligner les incohérences du système judiciaire américain, les limites d’un système de santé plus gouverné par la recherche du profit et le besoin de publier des médecins que par le soin réel de ses patients, l’adultère institutionnalisé rendu possible par les sites de rencontre en ligne, l’élitisme du système éducatif et sa sélection par l’argent, l’illusion du système politique…

Tout ceci pourrait être convenu sans l’imagination débridée d’Amy Homes, par ailleurs professeur de « creative writing » à Princeton. Une créativité d’ailleurs incroyable et qui donne lieu à de sérieuses crises de rigolade au fur et à mesure que les scènes s’enchaînent. Mais l’auteur n’oublie jamais non plus de donner de la profondeur psychologique à son roman montrant, au-delà de l’humour et du sarcasme, comment un homme paumé et un brin méprisable, Harold, va devenir quelqu’un de bien au fur et à mesure qu’il se défait de ses démons et apprend à assumer des responsabilités toujours fuies jusqu’ici. Un Happy End à l’américaine me direz-vous. Certes, mais cela n’enlève rien au plaisir éprouvé à la lecture de ce roman percutant et original, mené pied au plancher et donnant le pouvoir à une imagination au service d’une histoire, d’un sens et d’une certaine morale. Bref, un cocktail typique de ce qui fait la conscience et la culture américaine avec sa force et ses limites.


Publié aux Editions Actes Sud – 2015 – 586 pages

5.1.16

Agent au cœur d’Al-Qaïda – Morten Storm




Dans un monde qui se radicalise de plus en plus, il est particulièrement important de tenter de comprendre ce qui est en jeu. En effet, la multiplication des actes terroristes combinée à celle des guerres locales ou tribales entretenues ou justifiées à coups d’arguments religieux ou dogmatiques fait peser une tension mondiale majeure qui pourrait dériver en conflit généralisé laissant entrevoir le pire car ce ne serait rien moins que deux visions irréconciliables de civilisation qui s’opposeraient.

Les interventions mal préparées et aux conséquences mésestimées des puissances occidentales ainsi que des propos maladroits tels ceux de George Bush indiquant que les USA se lançaient dans une croisade contre l’Islam ont poussé un nombre grandissant de musulmans à se rapprocher d’une vision extrêmiste de l’Islam et des occidentaux paumés, en mal de repères, manquant d’éducation et sans perspectives offertes par une société en souffrance et en déconfiture à voir en un Islam radical un sens à donner à leur vie et une façon plus ou moins consciente de se venger d’une société qui n’a pas su ou pu leur donner une place.

Aussi, quand un des acteurs et témoins de premier plan prend la plume, aidé par deux grands reporters de guerre de CNN, Paul Cruickshank et Tim Lister, pour raconter de l’intérieur ce qu’il a vécu et vu, une occasion à ne pas manquer nous est donnée pour tenter de comprendre mieux ce qui se joue et la façon dont nous pouvons, ou non, nous aussi jouer un rôle pour éviter le pire.

Parce qu’il aura fini par être dégoûté de la façon dont il aura été traité par la CIA, le MI5 et le PET (le service de renseignements danois), Morten Storm a fini par tout déballer. D’abord dans la presse locale, puis dans les media internationaux, devant le monde politique danois et dans ce livre qui va en outre bientôt donner lieu à une adaptation cinématographique.

Morten Storm avait le profil typique pour tomber du mauvais côté. Abandonné par un père qui ne s’est jamais occupé de lui, il dut subir le joug d’un beau-père adepte de la violence conjugale et quitta l’école très tôt. Bagarreur et disposant d’un physique de viking, il apprit la boxe mais la mit plus à profit pour bastonner au sein des pires gangs de son pays, séjournant régulièrement en prison ou maison de redressement. 

C’est par hasard, en se rendant à la bibliothèque locale, qu’il découvrira la vie de Mahomet et fera la découverte de l’Islam. En quête permanente de sensations fortes, prêt à tous les risques et en recherche d’un sens à donner à sa vie, il va rapidement devenir la victime malgré lui de la guerre des mosquées et se trouver embrigadé dans un Islam salafiste radical. 

Du fait de son aura naturelle et du réseau qu’il va se tisser entre le Danemark, l’Angleterre et le Yemen, il va très vite devenir un acteur incontournable du financement de l’Islam radical, du recrutement de nouveaux convertis ainsi que le proche des futurs chefs d’Al-Qaïda qui voient en lui l’un des liens indispensables à leur expansion progressive et à leur équipement en technologie uniquement disponible en Occident.

Et puis, un jour après les attentats du 11 Septembre, Storm va comprendre que tout cela ne rime à rien, que l’Islam est tout sauf cette religion de violence totale, de brutalité et d’horreur que des factions plus ou moins rivales tentent d’imposer.

Alors, parce qu’il prend conscience de l’extrême danger de la situation et parce qu’il a aussi besoin d’argent, il va devenir l’agent du PET, puis du MI5/MI6 et de la CIA tout en conservant la confiance d’Al-Qaïda. Grâce à son travail d’infiltration et de renseignement, il va permettre l’élimination d’éminents responsables terroristes.

Tout cela est raconté de façon détaillée, preuves matérielles multiples à l’appui. Mais, ce qui est inquiétant, c’est aussi de découvrir le manque de professionnalisme du PET, la façon délétère dont les agences quelles qu’elles soient peuvent traiter des agents free-lance, des chances de frapper des grands coups contre le terrorisme gâchées à jamais pour des raisons d’ego, de luttes fratricides ou d’analyses inappropriées de la situation.

Or, comme Morten storm le déclarera lui-même dans une interview, nous avons encore moins de deux ans pour éliminer le Mal. Au-delà, Al-Qaïda/Daesh ne cesseront de gagner en présence et en confiance et tout cela ne pourra que nous précipiter collectivement vers un désastre planétaire.
Un livre édifiant et indispensable pour comprendre et réfléchir.

Publié aux Editions du Cherche-Midi – 2015 – 504 pages

2.1.16

Toutes les vagues de l’océan – Victor del Arbol


S’engager dans un roman de l’écrivain catalan Victor del Arbol, c’est plonger dans une mare profonde et noire, dans le dense réseau de l’araignée du Mal comme nous l’avions déjà constaté avec son précédent roman (qui connut un joli succès), « La Tristesse du samouraï ». C’est aussi accepter un long voyage car les romans de l’auteur sont de gros pavés qui vont demander beaucoup de temps pour être lus avec l’attention nécessaire.

Du temps, il est d’ailleurs question, de façon essentielle, omniprésente, dans « Toutes les vagues de l’océan ».  Car c’est à un formidable voyage à travers le vingtième siècle que nous invite del Arbol, entre les combats des Républicains espagnols luttant désespérément contre les ligues fascistes, la seconde guerre mondiale, les goulags soviétiques, la terreur stalinienne et tout ce que ce siècle a pu produire de misère et de victimes, par centaines de millions.

Mais le Mal absolu ne s’est pas arrêté avec le précédent millénaire. Il n’a jamais autant progressé d’ailleurs et l’une des nombreuses et incessantes formes qu’il prend touche à la prostitution, au commerce des enfants sous la main de fer d’une mafia russe d’une cruauté totale et sans limite lorsqu’il s’agit de protéger ses intérêts.

C’est parce qu’elle s’est intéressée, semble-t-il, de près à ces affaires et à un réseau connu sous le nom de Matriochka que l’inspectrice Laura est retrouvée morte, apparemment suicidée après qu’on l’ait accusée d’avoir assassiné, en le torturant sauvagement, un des membres de ce réseau mafieux. Plus précisément, celui dont elle sait qu’il a été, des années plus tôt, l’assassin de son fils retrouvé mort flottant dans l’eau d’un lac.

Désireux d’en savoir plus sur cette affaire, son frère cadet Gonzalo, un terne avocat vivant dans l’ombre menaçante d’un beau-père qui est l’un des ténors du barreau barcelonais, se lance dans une enquête qui va lui apprendre tout, bout par bout, coups après coups, sur sa famille.

Une famille qui a vécu longtemps dans la lumière protectrice d’un père, Elias, héros communiste et figure légendaire espagnole. Mais derrière les apparences se cachent souvent des réalités moins belles, voire des affaires sordides ou nauséabondes comme nous ne tarderons pas à le comprendre.
Affronter ce roman, c’est accepter de se faire chahuter en permanence par la quantité des personnages, par la férocité des situations, par la brutalité d’une époque qui ne connut pas de limite dans la violence. C’est affronter des choix dont on ne sait pas si l’on aurait capable, ou désireux, de les faire nous-mêmes, eussions-nous été confrontés à la même situation. C’est s’approcher du Mal au plus près, en appréhender de multiples aspects. C’est, enfin, bloquer un nombre conséquent d’heures dans son agenda pour venir à bout d’une histoire aussi éprouvante que complexe mais fermement tenue et menée par celui qui est en train de rejoindre Carlos Zafon comme l’autre grand auteur du genre noir espagnol.


Publié aux Editions Actes Noirs – Actes Sud – 2015 – 599 pages