16.1.16

Et ne reste que des cendres – Oya Baydar


Oya Baydar, une grande romancière turque contemporaine, reste encore méconnue en France. Ses ouvrages tentent de dire la Turquie actuelle et la façon dont la société évolue, le plus souvent par soubresauts successifs.

A ce titre, « Et ne reste que des cendres » est un précieux témoignage balayant la Turquie sur quasiment toute la seconde moitié du XXème siècle. Une Turquie marquée par les coups d’état, la mainmise des militaires sur le pouvoir politique et économique pendant des décennies, la répression violente allant jusqu’aux assassinats purs et simples des opposants politiques puis la montée d’un Islamisme qui se forge beaucoup par opposition à ce qui est considéré comme une menace : les Kurdes.

C’est au sein de ce maelstrom difficile à comprendre pour un Européen occidental que nous plonge la romancière. Un monde de tensions intenses que nous vivons et observons à travers les yeux d’une journaliste, Ülkü, qui, sans être tout à fait le double d’Oya Baydar lui emprunte néanmoins beaucoup de son histoire et de ses convictions.

Très tôt,  Ülkü s’engage auprès des Communistes turcs protestant contre la répression contre les Kurdes. Elle vit en même temps une impossible histoire d’amour, elle la jeune fille brillante issu d’un milieu populaire, avec un jeune homme appartenant à la haute bourgeoisie turque. Une passion torride mais qui prendra brutalement fin parce que la famille du jeune homme a écrit un autre destin pour lui. Un destin qui passe par un mariage dans la bonne classe et pas avec une militante sans biens.

De cette histoire d’amour, Oya Baydar va faire le fil conducteur sur plusieurs décennies pour nous faire vivre de l’intérieur la peur de ceux qui luttent, les arrestations sommaires, les tortures, les meurtres. Une révolte sourde d’abord puis de plus en plus marquée et qui finira par conduire les militaires dehors après bien des morts, bien des souffrances et bien des injustices. Un monde où des idéalistes s’opposent à des carriéristes. Un monde qui pousse des générations entières à fuir vers des contrées démocratiques et sécurisées. Un monde où les histoires personnelles et tout ce qu’elles portent de malheur, d’interrogations, de choix cornéliens à faire s’entrechoquent avec l’Histoire d’un pays secoué de toutes parts.

Très documenté, puisque l’auteur a elle aussi vécu ceci de l’intérieur et de très près, le roman présente l’avantage de nous donner à mieux comprendre l’histoire récente d’un pays dont nous ne voyons que la facette touristique, les attentats islamistes et la radicalisation progressivement despotique d’un pouvoir à la peine. Mais il présente aussi l’inconvénient majeur de nous précipiter dans des lieux inconnus cités à la pelle dans la langue d’origine, de nous abreuver de sigles de partis, de noms de politiciens dont nous, les non turques, ne savons strictement rien au risque de décourager des lecteurs dans un roman par ailleurs fort long mais superbement écrit et traduit.

Bref, un roman qui ne touchera au fond qu’un public élitiste ou curieux. A savoir avant de s’y lancer.


Publié aux Editions Phébus – 2015 – 568 pages