11.6.16

Pietra viva – Léonor de Récondo


Printemps 1505. Depuis la réalisation de son David géant et de sa Pieta, Michel-Ange est devenu une gloire des arts, le maître absolu de la sculpture. Une reconnaissance qui lui vaut le commande d’un fastueux tombeau pour le Pape Jules II, mégalomane et amateur d’art averti, du vivant même de ce dernier.

Avec un art consommé des mots, un souci de la précision du geste, du ton et du rythme acquis en tant que violoniste baroque, Léonor de Récondo sculpte à son tour un roman superbe, ciselé comme jamais. Chaque mot y est choisi avec un soin extrême, chaque scène nous plonge au cœur de l’intimité d’un génie d’essence quasi-divine mais habité d’un esprit et d’un cœur tourmentés.

Car l’inspiration de Michel-Ange semble lui être dictée en grande partie par ses pulsions. Celles pour la beauté des corps, lui qui entreprend le long voyage vers les carrières de Carrare après avoir quitté brutalement la salle de dissection où l’on venait de lui apporter le corps d’un jeune moine dont la beauté l’avait foudroyé. Celle du corps de sa mère à qui il fut arraché très tôt pour être confié à une douce nourrice. Une mère qu’il ne connut quasiment pas, morte brutalement et jeune comme souvent à l’époque. Une mère qui hante ses rêves et abonde son imagination pour accoucher de sculptures qui tentent de reproduire l’image de cet être absolu et disparu à jamais. Celle de son propre corps laissé crasseux, puant, nourri frugalement d’un peu de pain trempé dans du vin, tanné au soleil de plomb des carrières où il passe ses journées à accompagner les ouvriers dans le choix des blocs de marbre à découper de la montagne.

Quand Michel-Ange n’est pas plongé dans les tourments de ses pensées, lui qui est le plus souvent un être renfrogné, irritable, voire asocial, voici que d’autres pierres vivantes viennent l’interpeler, le faire douter ou lui ouvrir de nouvelles perspectives créatrices. Il semble sans cesse rebondir entre un enfant-surdoué qui ne le lâche pas d’une semelle, le questionnant tantôt avec la même profondeur que celle qu’il mettra dans ses propres commentaires, l’idiot du village qui se prend pour un cheval tombé amoureux fou d’une jument blanche et le contremaître de la carrière qui sait lire entre les pensées de cet homme frustre, rugueux et génial qu’il a le privilège insigne de côtoyer.

Un jour, le sculpteur reprendra le chemin de Rome. Pendant ces quelques mois de halte, il aura vécu avec certains de ses démons, expulsé d’autres, bataillant sans cesse entre ses obsessions, puisant là un matériau pour concevoir une nouvelle œuvre gigantesque et se montrer digne d’un commanditaire qui peut faire sa gloire et sa fortune. Il y aura trouvé la matière à sa pietra viva en même temps qu’il aura progressé, un peu, en tant qu’homme. De notre côté, nous aurons vécu le bonheur d’une lecture parfaite, d’un roman poétique et imaginatif puissant, d’une écriture sobrement lyrique et essentielle. 

Une formidable réussite.


Publié aux Editions Sabine Wespierer – 2013 – 240 pages