6.1.17

Prince d’orchestre – Metin Arditi


Nous aimons énormément Metin Arditi pour sa culture, son écriture souvent grandiose et l’extrême qualité de ses romans par ailleurs fréquemment récompensés de prix nombreux. Ce n’est certainement pas son dernier opus, « Prince d’orchestre », qui nous fera changer d’avis.

Renonçant pour une bonne part à une écriture ciselée pour emprunter un langage plus direct, recourant – c’est une première – à de très courts chapitres à un intervalle régulier et qui s’accélère au fur et à mesure que l’étau se resserre, Metin Arditi entreprend de nous donner à voir le chemin dévastateur de la folie d’un homme qui avait pourtant tout pour réussir.

Alexis Kandilis est l’un de ces chefs d’orchestre que la  planète musicale s’arrache. Ses concerts déclenchent l’enthousiasme du public et le respect de la critique jamais avare de compliments et de flatterie. Jusqu’au jour où ce chef irascible et à l’ego surdimensionné profèrera une authentique vacherie en public à un pauvre percussionniste incapable de se caler sur l’orchestre. A partir de là, le destin de Kandilis va basculer selon un processus qui démontre une intime connaissance de l’auteur des fonctionnements des orchestres et des critiques (n’oublions pas qu’il préside l’orchestre de la Suisse Romande et la fondation Les Instruments de la Paix-Genève).

En quelques jours, parce qu’il a voulu se croire l’égal des plus puissants et le maître absolu de tous les orchestres du monde, un Dieu musical sur terre, tous les projets de Kandilis vont sombrer et tourner à la déroute la plus complète. Longue est l’ascension vers les plus hautes marches, courte et amère est la chute.

En quelques mois, Kandilis ne  sera plus que l’ombre de lui-même, une loque vivant dans des pensions miteuses, ayant dilapidé sa fortune au jeu, quitté par une épouse qu’il n’aimait de toutes façons pas et trompait. Il finira recueilli par un couple de gouines de ses amies, les seules qui lui aient gardé leur amour et leur respect.

Hanté par les Kindertotenlieder, Kandilis s’enfoncera de plus en plus profondément dans la dépression et la folie au fur et à mesure que son projet d’inventer un nouvel ordre musical, véritable révolution dans la façon de composer, prendra corps. La musique de Mahler qui s’inscrit en boucle dans l’esprit de Kandilis ne fait que traduire la résurgence de brèches béantes remontant à l’enfance. Longtemps, elles furent masquées par la course à toujours plus de gloire. Avec l’abandon par tous, la perte du respect de soi, elles sonnent le glas d’un homme face à son propre gouffre et prêt à s’y jeter poussé par une folie démente.

Arditi impressionne par son authentique capacité à susciter un rythme haletant jusqu’à la brisure inéluctable sur fond d’enterrement symbolique public et vexatoire de tout ce qui fit le lustre d’un homme devenu le bouc-émissaire de tous ceux dont il s’est fait des ennemis ou des obligés. La façon dont la folie progresse y est rendue avec un réalisme et un luxe de détails proprement frappants.
Metin Arditi signe ici un très grand livre qui n’est pas sans rappeler « La pension Marguerite » à laquelle il est d’ailleurs fait explicitement référence. A lire absolument !

Publié aux Editions Actes Sud – 2012 – 373 pages