31.3.17

V.I.P – Laurent Chalumeau


A quelques semaines désormais d’une série d’élections majeures pour notre pays, voici un livre qui nous donne à réfléchir une fois encore sur la question de la moralité en politique et, plus encore, sur les indispensables qualités psychologiques que se doit de posséder tout homme d’Etat pour faire face aux innombrables coups tordus venant de toutes parts quand il ne les orchestre pas lui-même…

Ici, c’est le Président de la République lui-même (le PR comme dit Chalumeau) qui s’est mis dans un drôle de pétrin. Arrivé au domicile de sa jeune maîtresse, une actrice française récemment honorée de l’oscar du meilleur espoir féminin, il tombe sur deux racailles venus cambrioler et s’apprêtant, du coup car l’occasion est trop bonne, à violer la belle dans une séquence pas piquée des hannetons. 

Appelant à la rescousse son garde du corps tout en se trouvant contraint à jouer des scènes plus que compromettantes, le PR va péter un câble et abattre l’ensemble des protagonistes avant de s’enfuir promptement.

Le seul problème est que tout ceci s’est déroulé sous les objectifs d’un paparazzo bien renseigné lequel détient désormais des images en forme de dynamite et dont il tient à se débarrasser le plus vite possible.

Commence alors un thriller politique haletant et qui nous permet de comprendre en partie comment les fuites judiciaires s’organisent, comment business et politique s’entremêlent et les multiples façons dont le pouvoir dispose pour faire qu’une affaire s’enlise ou non. Car l’ami Chalumeau s’est fort bien renseigné avant, cela se sent.

La grande originalité du bouquin tient dans l’indéniable talent de Laurent Chalumeau à inventer une sorte de nova-langue française ; un mélange détonnant, drôle et qui fait mouche à tous les coups d’argot, de style journalistique, de termes issus tout droit des codes des media sociaux et de grammaire bancale. Tout cela est vif, virevoltant et contribue intrinsèquement à créer un rythme enlevé soutenant une intrigue où rebondissements, coups fourrés et manipulations en tous genres forment la seule loi pour survivre.

Une vraie réussite !


Publié aux Editions Grasset – 2017 – 270 pages

29.3.17

Dans la forêt – Jean Hegland


Paru initialement en 1996 aux Etats-Unis où il connut un succès certain, ce superbe roman d’anticipation est resté inédit en France jusqu’à sa traduction et diffusion par la très belle maison d’édition Gallmeister qui s’est fait une spécialité de faire connaître en Francophonie de jeunes auteurs nord-américains de qualité (tels que David Vann, Elen Urbani ou Ron Carlson pour prendre certains de leurs meilleurs succès de librairie).

On parle beaucoup actuellement, et à juste titre au vu des catastrophes écologiques, sociales, humanitaires et économiques qui nous menacent si nous ne changeons rien de façon radicale, de la fin inéluctable du capitalisme et de la nécessité de réinventer en quelque sorte l’humanité en se montrant plus frugal, plus autonome, plus solidaire aussi.

Alors voilà : pour une raison quelconque au fond sans importance, à une époque probablement proche non précisée, les Etats-Unis ont cessé d’exister. Ils se sont effondrés sur eux-mêmes, victimes de leur mode de consommation effrénée et de l’indisponibilité des ressources arrivées à épuisement. Il n’y a plus ni essence, ni électricité et bientôt médicaments et ravitaillement deviennent des simples concepts en forme de souvenirs. Les genres meurent de maladie et d’incapacité à s’adapter, les villes se vident et la société telle que nous la connaissons cesse brutalement d’exister.

Dans cette civilisation qui s’effondre, deux jeunes sœurs tentent de survivre. Elles résident  ensemble dans la maison que leurs parents avaient fait construire, loin de tout, à l’orée de la forêt de Sud-Californie qui appartenait autrefois à l’Etat. Depuis que leurs parents sont morts, elles ont dû apprendre à se débrouiller entièrement seules et repenser intégralement leur façon de vivre.  Chaque minuscule objet issu du monde précédent doit être sauvegardé, répertorié, trié et utilisé avec la plus grande parcimonie.  Pendant que l’une, qui voulait devenir ballerine à San Francisco, ne cesse de danser sur un simple métronome, privée de musique sans électricité accumulant la rancœur d’un passé révolu, l’autre qui se destinait à étudier à Harvard tente d’accumuler et d’assimiler les connaissances rassemblées dans l’encyclopédie et les différents livres qui peuplent la maison.

Plus le temps passe, plus l’espoir d’un retour au monde précédent diminue, plus les dangers augmentent : les réserves de nourriture qui s’épuisent, les rôdeurs aux intentions malsaines, les grands animaux (ours, cerfs, sangliers) qui reprennent leurs droits. Plus le monde se rétrécit dans ses perspectives, plus la relation entre les sœurs devient essentielle, fusionnelle et donc, parfois, explosive.

Au fur et à mesure que les vestiges du monde ancien se dégradent, c’est la forêt qui apparaît comme le lieu où inventer un monde nouveau, où il devient tentant de s’aventurer de plus en plus profondément pour se libérer de ses liens anciens ayant perdu tout sens et n’apportant plus la moindre protection.

C’est vers ce dépouillement progressif, vers cette mise à nu des relations humaines, de l’amour fraternel ou physique que nous emmène Jean Hegland d’une main de fer maniant une écriture de velours. Un superbe livre qui devrait continuer de vous hanter longtemps après l’avoir refermé.

Publié aux Editions Gallmeister – 2017 – 302 pages


28.3.17

Arrête avec tes mensonges – Philippe Besson


Depuis des années, Philippe Besson nous raconte des histoires, imaginant des vies à partir de personnages fugacement rencontrés. Déjà enfant, il s’adonnait à ce qui allait le conduire à devenir écrivain, provoquant la colère de sa mère qui ne cessait de lui dire : « Arrête avec tes mensonges ».

Alors, devenu un homme mûr, l’auteur a effectivement décidé d’arrêter avec ses mensonges et de nous livrer un récit autobiographique fascinant. Fascinant car, souvent, la réalité est porteuse de plus de puissance, d’étonnements et de moments improbables que la fiction. Fascinant aussi car ce qui devient une sorte de confession éclaire fortement les dix-huit romans précédents souvent marqués par un être qui vient à manquer, la solitude et l’homosexualité omniprésente.

De son homosexualité, Philippe Besson eut conscience très tôt, dès l’âge de onze ans. Mais c’est à dix-sept ans, en Terminale C, l’année du Bac, qu’elle trouva enfin à s’exprimer. Depuis des semaines, l’élève Besson observait à la dérobée un garçon un peu plus âgé que lui, beau comme un dieu, attirant les filles mais restant toujours solitaire. Un élève en D, filière moins scientifique où étaient recasés les élèves jugés insuffisamment bons pour être préparés aux classes préparatoires. Autant dire, un autre monde, parallèle, impossible.

Jusquà ce que celui qui se nommait Thomas Andrieu, un fils de paysan de Charente, prenne l’initiative d’un rendez-vous et, dans la foulée, des premiers émois amoureux et sexuels, décrits sans fausse pudeur mais avec une émotion réelle, bien qu’à vingt-trois ans de distance.

C’est cette première relation amoureuse que nous conte Besson. Elle dura peu de mois mais marqua profondément les deux hommes. Pour l’auteur, elle fut la libération d’une vie, le marquage du passage de l’adolescence inassumée à l’âge adulte, à des désirs de succès au-delà de Bordeaux pour gagner la capitale. Thomas quant à lui s’enferma dans le déni et provoqua une rupture restée inexpliquée. Peur de s’assumer dans une France provinciale aux relents chabroliens.

Il fallut le hasard d’une rencontre dans le hall d’un hôtel, plus de vingt ans plus tard pour que Philippe Besson renoue avec un passé et une histoire qui n’avaient jamais cessé de le hanter au point de peupler, explicitement parfois, son univers littéraire et apprenne enfin, dans d’inimaginables circonstances, le sort funeste de celui qui renonça à lui parce qu’il savait que son amant, trop brillant, devrait partir tandis que lui aurait l’obligation de rester collé à une terre dont il ne parvenait pas à se départir.

Philippe Besson signe ici un de ses plus beaux livres, émouvant, d’une sincérité absolue et qui sonne comme un pardon mutuel envers un amour qui n’a pu, pour toutes les raisons que nous comprendrons, trouver à s’éclore comme il l’aurait pu ou dû.

Publié aux Editions Julliard – 2017 – 194 pages


23.3.17

Le motel du voyeur – Gay Talese


Guy Talese est considéré comme l’inventeur du nouveau journalisme. Il a publié de très nombreux textes d’enquêtes approfondies sur des sujets aussi différents que l’histoire de la sexualité aux Etats-Unis (La femme du voisin), la mafia (Ton père tu honoreras), Frank Sinatra etc…

Son dernier ouvrage fit largement polémique lors de sa sortie aux USA et interpelle à divers propos car il existe tellement d’inexactitudes, d’erreurs sur les dates, de scènes qui semblent être purement et simplement inventées ainsi que le souligne d’ailleurs Talese sans la moindre ambiguïté que l’on peut se poser légitimement la question de savoir s’il s’agit à la fin d’un roman-fiction ou d’une narration journalistique véridique.

Tout commence lorsque Gay Talese reçoit un jour un appel d’un certain Gerald Foos l’invitant à le rencontrer. Celui-ci prétend détenir une compilation d’observations édifiantes sur le comportement des clients de son motel situé dans un quartier populaire et anonyme de Denver. Des observations qu’il a glanées après avoir aménagé une astucieuse grille assimilable à une grille d’aération lui permettant de mater en toute impunité toutes celles et ceux qui occupent l’une des chambres ainsi équipées.

Avec la complicité de ses deux épouses successives, il va remplir des cahiers entiers décrivant par le menu tout ce qui sort de l’ordinaire insipide qui fait notre quotidien. Son obsession compulsive, ce qu’il guette avec une patience de loup attendant le moment propice, c’est l’activité sexuelle de sa clientèle, qu’elles qu’en soient les pratiques et les formes. Parfois même, il prétend surprendre des trafics de drogue et même un meurtre dont il ne figure cependant aucune trace dans les archives de la police locale.

Après une certaine révulsion qu’inspire la narration glauque de séances souvent déprimantes quand elles ne sont pas dépravantes, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il y a bien là, dans cette compilation unique (inventée ou non) un formidable matériau qui donne à voir et à comprendre les lentes et successives mutations de la société américaine sur plus de trente années. Une société qui devient plus inter-raciale, où le désir féminin joue un rôle plus marqué, où les parties collectives semblent progresser ; mais une société dans laquelle vivre une sexualité épanouie semble rester le lot d’une minorité de façon constante à travers le temps.

Au-delà de ces considérations, si l’on pose comme hypothèse que cette publication résulte bien d’un travail d’enquête sérieuse faisant l’objet d’une sélection rigoureuse de la part de son auteur ultime, alors on ne peut manquer de s’interroger sur la responsabilité d’un voyeur compulsif qui restera inactif alors qu’il observera des faits pénalement gravissimes (viols, meurtre, inceste) tandis qu’il agira pour éclairer des phares de sa voiture des scènes d’ébats sexuels autrement plongés dans le noir d’une chambre anonyme. Comme on s’interrogera aussi sur la complicité indirecte d’un journaliste ne pouvant plus ignorer des faits, lié pendant des décennies par un papier qu’il a signé lui interdisant toute publication sans l’accord express de Foos. Sans parler de celle d’épouses pour le moins complaisantes et trouvant là le moyen de s’adonner avec leur mari à une sexualité parallèle à celle observée en temps réel quelques mètres plus bas.

Bref, un livre fortement dérangeant, inhabituel mais dont la lecture reste conseillée à toutes celles et ceux qui cherchent à comprendre le monde et ses perversions infinies.


Publié aux Editions du sous-sol – 2016 – 255 pages

17.3.17

Nora Webster – Colm Toibin


L’Irlande de la fin des années soixante est un pays encore largement ancré dans les traditions. Celle d’une pratique religieuse assidue marquant la séparation nette entre le Nord et le Sud ; celle d’une société patriarcale dans laquelle l’homme travaille tandis que la femme tient le foyer et s’occupe des enfants engendrés en aussi grand nombre que possible. Tout ceci sous le poids du regard des voisins dans un mélange de bienveillance, de suspicion, de jalousie et de pression à la conformité sociale.

Une vie dans laquelle s’était coulée pendant plusieurs décennies Nora Webster. Du moins jusqu’au décès dans d’atroces douleurs de son mari Maurice, un enseignant engagé politiquement, respecté par toute la communauté catholique locale.

Avec la disparition de l’homme de sa vie, Nora se retrouve face à une multitude de défis dont le moindre n’est pas d’éduquer et de subvenir aux besoins de quatre enfants dont deux garçons encore adolescents et fortement marqués par la disparition de leur père. Privée des ressources de l’homme de la famille et dotée d’une chiche pension, Nora doit trouver des solutions. Il lui faudra d’abord vendre la maison de vacances de famille, un déchirement qui marque la rupture symbolique avec une vie d’avant qui n’est plus. Puis reprendre un travail mal payé sous les ordres d’une furie qui lui fera payer certaines petites vexations endurées du temps où Nora et elle travaillaient ensemble une vingtaine d’années plus tôt.

Mais Nora est avant tout une femme de caractère, à l’indépendance farouche, refusant de se laisser broyer par un système pesant. Une personnalité qui la poussera à se syndiquer, geste inimaginable dans un monde paternaliste, comme elle la mènera à découvrir le monde de la musique classique et celui du chant qu’elle va se mettre à pratiquer. Une manière de se réconcilier avec une mère qui fut une chanteuse d’église remarquable mais avec laquelle son caractère l’amena à se fâcher pour le restant de ses jours.

Chaque décision qui sort de l’ordinaire devient pour Nora une sorte d’acte politique plus ou moins conscient la faisant s’affirmer en tant qu’être humain de plein droit prête à se battre pour les siens et se donnant peu à peu le droit d’exister par elle-même et pour elle-même.

A l’aide d’une langue simple et d’une histoire assez largement inspirée de sa propre histoire personnelle, Colm Toibin nous livre un roman à la fois intimiste et politique, celui d’une Irlande sur le point de se déchirer dans une terrible guerre civile dont nous voyons poindre les horribles prémices.


Publié aux Editions Robert Laffont – 2016 – 411 pages