14.4.17

Call-Boy – Isa Ishida


La grande tendance de l’univers romanesque contemporain japonais est de nous plonger de préférence dans un monde étrange, toujours en marge, souvent interlope ou aux confins du fantastique.

« Call-Boy » s’inscrit parfaitement dans cette tendance en nous offrant une plongée inédite, surprenante, vertigineuse aussi dans l’immensité, la complexité et la variété que peut revêtir le désir féminin.

Depuis que, petit garçon encore, Ryô a perdu sa mère, brutalement décédée d’un arrêt cardiaque, il semble s’être déconnecté du monde réel et se laisser quelque peu porter par les évènements. Inscrit à l’université à Tokyo, il n’en suit jamais les cours qui l’ennuient, grâce à une amie en récupèrent le contenu qu’il ne consulte que rarement, consacrant l’essentiel de son temps à procrastiner la journée et, surtout, travailler comme barman la nuit.

C’est au comptoir du bar qu’il va faire la rencontre d’une femme, Madame Midoh, que lui présente un ami et qui lui offre de travailler pour elle comme prostitué de luxe. Une offre inattendue pour un jeune homme que les femmes ennuient, qui considère le sexe plus comme une activité sportive que comme un plaisir, qui ne sort quasiment pas. Après un test de passage aussi fascinant que perturbant, Ryô voit sa vie transformée du tout au tout.

Lui que le rapport aux femmes angoissait, toujours marqué par la perte subite de sa mère, va rapidement devenir l’un des prostitués les plus demandés d’une clientèle de luxe prête à débourser des fortunes pour s’offrir les services d’un jeune homme capable d’assouvir leurs fantasmes avoués ou inavoués. Ce n’est pas tant le physique, certes avenant, de Ryô qui fait son succès mais sa capacité d’écoute, sa tolérance totale face aux demandes et aux situations qu’il rencontre, son absence de jugement face à des femmes de tous âges célibataires, mariées, veuves qui ont besoin d’un vecteur externe pour déclencher en elles des réactions psychologiques et physiques le plus souvent extrêmes qu’une relation normale, usée par la répétition, ne saurait offrir.

Plus les rencontres se multiplient, plus Ryô développe une sorte d’approche philosophique visant à explorer le désir féminin, à le comprendre, à le décoder pour mieux le provoquer et en repousser les limites. Un talent qui ne pourra véritablement éclore qu’après une expérience SM homosexuelle des plus troublantes et qui fera sauter un ultime verrou.

Eteint, terne, inexistant avant, Ryô apprend à devenir humain et trouve sa place dans la société grâce à cette activité occulte et trouble ; un métier qui apporte du plaisir, de la joie et de l’équilibre lorsqu’il est pratiqué par l’expert en désir féminin qu’il est devenu.

Voici un roman à ne pas mettre entre toutes les mains mais qui interpelle par sa force, son originalité et sa capacité à ne jamais tomber dans le trash ou le sordide en dépit du sujet traité et des scènes relatées par le menu.


Publié aux Editions Philippe Picquier – 2016 – 251 pages