28.5.17

La pendue de Londres – Didier Decoin


En 1955, Ruth Ellis, une jeune femme de vingt-huit ans, fut la dernière personne à être pendue sur décision de justice par l’Exécuteur en chef du Royaume Uni, Albert Pierrepoint.

Tirant son matériau de cette histoire vraie ainsi que des mémoires d’un bourreau flegmatique, calculant au centimètre près la bonne longueur de corde pour que chacun des plus de 400 condamnés à mort (dont 200 criminels de guerre) dont il eut la charge mourût proprement et sans souffrir, Didier Decoin nous livre un double récit poignant.

D’un côté, celui d’une pauvre fille, Ruth, violée à répétition comme sa sœur aînée dès son enfance par un père aux allures aristocratiques, violoniste sur un paquebot transatlantique. Une fille dont le rapport aux hommes est à jamais dysfonctionnel, cherchant un alliage impossible entre la recherche de la sécurité d’un père aimant, la poursuite du plaisir du corps et l’attirance pour les éphèbes malsains. Une fille qui choisit, pourvue d’un physique avantageux, de devenir une prostituée de luxe tout en recherchant le grand amour qui la fait tomber sur ce que la gent masculine offre de pire : un homme volage, violent, pervers, beau comme un dieu, pilote de course, dépensier comme personne dont elle va tomber follement amoureuse avant que de finir par l’assassiner, manipulée par un amant qu’elle n’aime pas mais qui la finance, jaloux à en crever de l’autre qui fut, un temps, son meilleur ami. Une histoire sordide où la classe ouvrière ne peut jouer que des instincts les plus bas pour tenter de tirer parti de la classe bourgeoise ou dirigeante…

De l’autre, celui d’un bourreau nommé par le Maréchal Montgomery lui-même, fils et petit-fils de bourreau dont tout le paradoxe est de réaliser sa tâche de manière irréprochable, d’exercer le métier d’aubergiste sans jamais accepter de commenter la moindre exécution tout en désirant profondément, depuis qu’il eut à pendre une criminelle nazie de vingt-deux ans au regard troublant, ne plus avoir à pendre de femmes.

Didier Decoin met en balance, de façon fascinante, la façon dont Ruth marche inexorablement vers son destin tandis que son futur bourreau avance sur la voie du doute au point de se retirer à jamais après avoir expédié la belle jeune femme, dont des dizaines de milliers de citoyens réclamaient la grâce, ad patres.

Un beau livre amenant une fois de plus à réfléchir sur la prédestination, la justice des hommes, le sens moral, les valeurs. Un livre sobre et digne comme celles et ceux qui franchissent les derniers pas les menant à la potence, quels que soient leurs crimes.


Publié aux Editions Grasset – 2013 – 335 pages