9.6.17

City on Fire – Garth Risk Hallberg


Il y a encore peu, Garth Risk Hallberg n’était qu’un plus ou moins vague critique littéraire; un illustre inconnu pour le plus grand nombre. Au terme d’une empoignade féroce comme les Américains en ont le goût et le secret, son premier manuscrit s’arracha pour deux millions de dollars, faisant de City on Fire le roman le plus cher de toute l’histoire de la littérature mondiale. La bataille fut tout aussi rude pour les droits en France qui furent finalement attribués à Plon grâce à une proposition de plan promotion ambitieuse doublée d’un gros chèque (quoique nettement plus modeste que celui émis chez l’Oncle Sam !).

Comment expliquer cet engouement pour un pavé de quasiment mille pages qui vous demandera une bonne vingtaine d’heures pour en venir à bout ? Sans doute parce que, tout d’abord, l’auteur (que la presse et les media sociaux ont désormais dénommé GRH par souci de simplification) a pris son temps pour accoucher de son œuvre : pas moins de six ans de recherche et d’écriture patiente et inventive furent nécessaires ! Ensuite, parce qu’il y a chez GRH beaucoup, pour ne pas dire la plupart, des ingrédients qui ont fait les grandes fresques de la littérature anglo-saxonne au point de songer à un Dickens moderne dans cette profusion de personnages analysés au plus profond d’eux-mêmes et se débattant avec tout ce que la vie, ou souvent eux-mêmes, auront décidé de poser sur leurs chemins, reflétant totalement les grandes tendances de leur époque.

Ensuite, parce que City on Fire est à la fois un roman choral (vécu, narré, vu de façon successive ou parallèle par de nombreux personnages tous liés, consciemment ou non) et une sorte de gigantesque puzzle dont les pièces au départ brassées et dispersées finissent par s’assembler en des sous-ensembles dont l’intégration est volontairement progressive et heurtée. Du coup, le lecteur qui n’aura pas été rebuté par l’épaisseur de l’opus (impossible à ignorer dès qu’on tente de soulever le lourd bouquin qui s’offre à nous) n’aura de cesse que de vouloir en savoir plus, décoder pourquoi GRH nous ballade ainsi d’une scène à l’autre, d’un personnage à l’autre tandis que des indices apparaissent petit à petit, donnant un début de cohérence comme le cadre d’un immense puzzle où viendront s’emboîter les autres pièces.

Le personnage principal du roman est la ville de New-York. Celle de la fin des années soixante-dix. Plus précisément encore, celle comprise entre la nuit de la Saint Sylvestre 1976 et le 13 Juillet 1977. Celle marquant le meurtre sordide d’une jeune fille dans Central Park et le gigantesque black-out qui paralysa la ville pendant de nombreuses heures, faute d’une infrastructure de production électrique suffisante et robuste.

A cette époque, NYC n’était pas encore la ville gentrifiée, régie par l’argent et le pouvoir qu’elle est devenue depuis. C’était une cité en faillite, criblée de dettes, où se promener de nuit équivalait à jouer à la roulette russe, où dealers et proxénètes faisaient régner leur loi. En même temps, cette époque fut aussi celle d’une liberté des idées, d’une création artistique débridée, d’un mélange des genres qui allaient rendre possible la reconstruction et la réhabilitation majeures entreprises depuis.

Mêlant, à la manière d’Anna North dans son très beau « Vie et mort de Sophie Stark », narration romanesque, fanzine, articles de presse, photographies, courriels, lettres et autres moyens d’expression, GRH nous place d’emblée au cœur des problèmes, des défis et des contradictions dans lesquels se débattent ses personnages hautement représentatifs de la diversité sociologique, culturelle et financière qui caractérise New-York. C’est souvent volontairement confus, toujours déroutant, mais GRH nous tient par le bout des yeux. Impossible de sortir indemne de ce gros pavé qui ne pourra pas vous laisser indifférent. Quant à dire qu’il enthousiasmera tous ses lecteurs, rien n’est moins sûr, mais c’est une autre histoire et affaire de goût et de temps (à y consacrer). En attendant, GRH aura sans doute remboursé une bonne partie de ses dettes !


Publié aux Editions Plon – 2016 – 978 pages