21.8.17

Fin de mission – Phil Klay


La guerre en Irak, Phil Klay connaît. A vingt-cinq ans, il s’engagea dans les Marines et fut envoyé là-bas où il combattit pendant un an comme officier. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il donne la parole à douze personnages fictifs, simples Marines d’infanterie, artilleurs, officiers dans les services administratifs, aumônier ou trouffions chargés de traiter les cadavres des soldats tués en action. Douze types marqués à vie par ce qu’ils auront vu, dit ou fait au cours de missions où de longues périodes d’inaction succèdent à des engagements intenses.

Même si la justification d’un conflit, par nature, est de tuer les méchants d’en face (ce qui revient à la fin à une simple question de point de vue d’autant plus subjectif qu’il est en général associé à une intense propagande) puis de sauver sa peau, il est impossible d’en revenir indemne. Ne parlons même pas des blessés comme Jenks, grand brûlé défiguré après avoir sauté dans son blindé sur une charge explosive, à qui toute vie sociale ou affective tend à s’assimiler plus à de la spéculation qu’à une réalité que seule l’auto-dérision permet de combattre.

La force de « Fin de mission » est de mettre l’accent sur l’absurdité de tout conflit armé, même s’il est dit de basse intensité comme en Irak. Absurdité des enfants embrigadés et transformés en bombes vivantes ou en soldats naïfs aussitôt abattus par des Marines surentraînés et à l’équipement de pointe. Absurdité des morts causées principalement par les engins explosifs programmés pour sauter au passage des convois américains. Impossible de nommer ou d’abattre un coupable et vivre avec une rage que l’on déversera alors à la première occasion. Absurdité des sommes dépensées souvent en pure perte pour financer des programmes dits humanitaires mal ficelés, inadaptés et confisqués par des potentats locaux tout-puissants, prêts à tout pour s’enrichir sans vergogne. Absurdité de chercher à savoir de combien de morts chaque artilleur peut être crédité après avoir réduit un village ennemi à l’état de cendres. Un comble pour un système où la fierté est de pouvoir créditer des victimes ennemies à chaque soldat comme autant de trophées de chasse. Comment faire quand les obus sont tombés à dix kilomètres de là sans que l’on sache vraiment combien de morts ils auront fait et encore moins quel obus les aura causées. Absurdité des séances de tortures infligées, d’un côté ou de l’autre, dont l’intensité n’a d’égale que l’imagination infinie des sévices envisageables.

Alors, forcément, en fin de mission, une fois revenus du combat et au repos au camp de base ou de retour au pays, les Marines gambergent, et gravement même. Difficile de retrouver des fiancées ou des épouses qui ne les ont pas forcément attendus, lasses d’une absence qui pourrait être définitive, ne supportant plus la peur à distance et n’ayant pas l’ombre d’une idée de ce que leurs hommes ont eu à subir sur place. Difficile de ne pas sombrer dans l’alcool, la drogue ou l’insomnie comme autant de vaines échappatoires à l’indicible. Difficile encore pour certains de ne pas replonger attirés par l’excitation absolue promise au moment du combat quand sa propre vie tient du jeu vidéo, que la certitude d’avoir dézingué un méchant d’en face vous donne la force de continuer et que la survie de chacun dépend de la cohésion du groupe.

Avec talent, dans un langage crû qui rend bien compte de la mentalité militaire, Phil Klay explore dans ces douze nouvelles toutes différentes les unes des autres les irréparables blessures physiques mais surtout psychologiques dont ces survivants, civils ou militaires, ne se remettront jamais vraiment. Il signe avec ce premier livre un très beau témoignage, dur et bouleversant, de ce que font ces gars pour protéger, anonymement, les planqués de civils que nous sommes. Ceci lui valut d’ailleurs le National Book Award lors de sa parution aux USA.


Paru aux Editions Gallmeister – 2015 – 320 pages