24.12.17

Easter Parade – Richard Yates


Richard Yates reste un romancier américain assez largement et injustement méconnu en France. Il est pourtant aussi considérable qu’un John Cheever mais, à la différence de ce dernier qui s’était fait une spécialité de l’étude critique des mœurs de la haute société, l’œuvre de Yates est toute entière tournée vers la description sans concession de la classe moyenne étatsunienne.
Richard Yates mourut à l’âge de 66 ans d’alcoolisme et de tabagisme qui lui avait valu d’ailleurs de souffrir de tuberculose quelques années auparavant. Toute sa vie, il rêva d’être reconnu, de figurer en première page de la critique littéraire du New-York Times. Jamais de son vivant ceci n’arriva. Marqué par une enfance difficile (mère alcoolique et en échec professionnel permanent, sœur battue par son mari violent), il donne à ses personnages de nombreux traits de ce qu’il eut lui-même à connaître.
Dans la culture américaine, la parade de Pâques (Easter Parade) correspond à la tradition selon laquelle les citoyens qui le désirent revêtent leurs plus beaux atours pour défiler dans la rue principale de leur ville la veille de Pâques. Pour les deux sœurs encore adolescentes que sont Sarah et Emily, ce moment marquera l’apogée symbolique de deux vies de femmes qui ne connaîtront que déceptions, échecs et descente aux enfers.
Avec une écriture simple, trouvant le mot juste pour aller toujours à l’essentiel, Yates nous donne à voir que, dans le monde des alcooliques, le prochain verre n’est jamais loin. C’est déjà l’alcool qui rendit la mère des deux sœurs d’abord ridicule en société avant de la conduire directement à l’asile psychiatrique. C’est encore l’alcool qui servira de refuge à l’aînée, Sarah, pour accepter l’intolérable, justifier la violence infligée par un mari qui, très vite, quitta son masque de jeune homme correctement éduqué en Angleterre, à l’accent raffiné et charmant, pour endosser l’habit d’un rustre vulgaire lui-même dépendant à l’alcool.
Quant à Emily que son entourage voit à tort comme une jeune femme libre et séduisante, elle ne fait qu’enchaîner les échecs amoureux sans jamais réussir à vraiment trouver un emploi gratifiant malgré de brillantes études et une intelligence certaine. La faute à l’alcool, encore, qui la pousse sournoisement à choisir les hommes qui lui ressemblent, instables, souvent alcooliques aussi, affublés de problèmes en tous genres totalement insolubles car profondément englués dans leurs propres contradictions. Alors, de là, il n’y a qu’un pas à franchir pour qu’Emily trouve à son tour dans la consommation de boissons alcoolisées variées – mais surtout répétées à une fréquence qui augmente en proportion à ses échecs – l’illusion d’un exutoire qui ne peut que la conduire dans une impasse aussi sordide que celle que semblent avoir connu tous les membres de sa famille sur deux générations.
Il y a peu d’espoir chez Yates. Ses romans sont à l’image de sa vie : désespérée, consciemment suicidaire avec une logique pourtant visant à ne jamais renoncer sans pour autant avoir tiré tous les enseignements des échecs précédents. Il y a une sorte d’implacabilité qui confine à la fascination.
Publié aux Editions Robert Laffont – Pavillons – 2010 – 330 pages