9.4.18

La nuit des béguines – Aline Kiner



En cette année 1310, les bûchers fleurissent sur la place de Notre-Dame à Paris. On y brûle tout ce que le Royaume de France qualifie d’hérétiques. Ce jour-là, c’est une béguine venue du Nord de la France, à la frontière de la Belgique, que l’on sacrifie en place publique pour avoir osé rédiger un livre, qui deviendra un classique des mystiques, appelant à aimer Dieu directement, en dehors de toute institution religieuse. Un outrage inacceptable pour une Eglise qui n’entend pas perdre sa toute-puissance et qui se soucie bien plus des honneurs et de son emprise terrestres que du bien-être spirituel, maniant la torture, le châtiment et la promesse de l’enfer envers tous ceux qui oseraient se monter contre elle. Bientôt, ce seront les Templiers eux-mêmes qui seront farouchement combattus, brûlés vifs, devenus un contre-pouvoir inacceptable. En ce temps reculé, règne Philippe Le Bel, un roi rigide, quelque peu paranoïaque et qui va se servir d’une foi outrancière pour justifier d’une politique dictatoriale et guerrière. 
Or, depuis Louis IX, quelques femmes ont gagné le droit de vivre par et pour elles-mêmes, en dehors de toute soumission aux hommes, de tout lien de mariage. Protégées par le Roi, elles forment des communautés industrieuses, autonomes, obéissant à un ordre et servant Dieu et les pauvres sans pour autant être des religieuses. Ce sont les béguines vivant derrière les enceintes closes des béguinages enchâssés au cœur des grandes cités. A Paris, elles occupent ce qui est devenu, depuis, le quartier du Marais, adossé au Palais-Royal d’alors.
Autant dire que ces femmes indépendantes représentent une situation inacceptable pour une Eglise omnipotente. Tant que les rois successifs les protégèrent, elles étaient inattaquables. Mais avec un Roi fou de Dieu, caractériel et despotique, en lutte permanente contre un pape faible, leurs jours sont comptés.
C’est à partir de cette situation historique qu’Aline Kiner élabore un très joli roman historique dont nous ne dévoilerons pas l’intrigue par ailleurs fort bien menée. Disons simplement qu’elle nous permet de plonger au cœur de la vie quotidienne d’un Moyen-Âge où conditions politiques et climatiques se combinaient pour faire de l’existence un parcours particulièrement accidenté et dangereux.
En ces temps actuels où l’Islam radical tente de manière sanglante d’asseoir une nouvelle forme de dictature, on le sait : les premières victimes sont toujours les femmes qui ne doivent avoir d’autre raison d’être que de servir les hommes et d’enfanter. Le schéma a toujours été le même et c’est cette menace contemporaine que l’on peut aussi lire en sous-texte de ce roman historique aux personnages attachants, à l’histoire prenante et qui parvient à rendre particulièrement bien l’ambiance de l’époque.
Publié aux Editions Liana Levi – 2017 – 431 pages