15.5.18

Adieu à Berlin – Christopher Isherwood



Pour écrire ce roman qui consacra Isherwood comme l’un des auteurs majeurs américains du vingtième siècle, l’auteur s’inspira fortement de sa propre expérience. En effet, né Anglais, il dut fuir son pays natal dont la mentalité rigoriste victorienne ne s’accommodait  pas de son homosexualité. Berlin, par la liberté de mœurs qu’elle représentait alors, s’imposa comme une destination naturelle. Il s’y installa donc de 1929 à 1933, observant de près la vie locale, enregistrant comme il le dira lui-même telle une caméra vivante ce qui se déroule sous ses yeux. Chassé par les Nazis, il finit par s’installer aux Etats-Unis et se fit naturaliser Américain en 1941.

Adieu à Berlin inspira, une quarantaine d’années plus tard, le fameux film Cabaret de Bob Fosse où Liza Minelli tint le rôle central de la meneuse empruntée aux traits de Suzan Bowles dans le roman d’Isherwood.

Devenu « Herr Issywood » chez sa logeuse, Christopher nous décrit sans affect ni jugement ce qu’il observe et vit. La nuit, la ville grouille de mille plaisirs parmi les plus interdits et les plus audacieux. Il n’est pas difficile de trouver un ou une partenaire de son choix pourvu que l’on ait de l’argent, du pouvoir ou du charme. De jour, c’est un tableau différent pour le plus gros de la population mal logée, mal nourrie, luttant le plus souvent pour simplement survivre.

Pendant ce temps, Hitler creuse son sillon, préparant méticuleusement sa prise de pouvoir, faisant des Juifs les boucs émissaires d’une crise morale, économique et militaire à coup de propagande sournoise propre à manipuler progressivement l’opinion des Allemands envers celles et ceux avec lesquels ils ont jusque-là mené une vie tranquille, collaborative et plutôt mutuellement fructueuse.
La force du roman est de retracer sans jugement, en s’en tenant aux faits, à la narration de scènes de la vie quotidienne, la façon dont une ville et, à travers elle, une nation opère un basculement imperceptible mais finalement inexorable vers l’inexcusable. Tel un observateur neutre, Christopher côtoie aussi bien le peuple que les nantis. A l’écoute et souvent partenaire passif, il rend compte du destin d’un peuple qui se dessine à travers les expériences chaotiques des personnages qu’il met en scène.

Publié aux Editions Les cahiers rouges – Grasset – 2014 – 280 pages