2.5.18

Une longue impatience – Gaëlle Josse



Assez rares sont, au fond, les couvertures retenues par les éditeurs qui disent tout du livre que nous nous apprêtons à choisir puis à découvrir. Pourtant, l’essence même du dernier et superbe roman de Gaëlle Josse, une auteur remarquable bien qu’encore beaucoup trop confidentielle, y est exprimée.
Une femme seule se tient debout sur un rocher. Elle est d’une élégance sobre et que l’on devine belle. Elle nous tourne le dos, sa robe légèrement fouettée par le vent qui ne quitte jamais les côtes bretonnes. Tournée de trois-quarts, elle porte son regard au loin, observant avec une attention soutenue, une certaine impatience et une anxiété que suggère la solitude absolue dans laquelle elle se tient, la mer que l’on devine. Une mer vide de présence et que l’on sait inexorablement hostile envers ceux qui présumeraient d’elle.

Voici donc Anne Quémeneur, veuve Le Floch. Deux fois déjà la mer lui a pris ses hommes. Tout d’abord son premier mari, marin pêcheur, disparu en mer dans des circonstances tragiques que nous découvrirons plus tard sans que l’on n’ait jamais retrouvé son corps. Et puis, Louis, le fils qu’elle eut de ce premier mariage.

Remariée avec Etienne, le pharmacien de la bourgade, elle est devenue, malgré elle, une notable. Elle qui fut ouvrière dans une conserverie ne parvient pas à s’accoutumer à une vie qu’envient les autres. Car, malgré les deux autres enfants qu’elle a conçus de son deuxième époux et qu’elle aime, malgré l’amour sincère que lui témoigne son mari, elle sent cette menace permanente qui pèse envers son fils Louis que ne supporte guère Etienne. Jusqu’au jour où le geste de trop causera l’irréparable. Voici Louis enfui et engagé à seize ans comme matelot sur un cargo en partance à l’autre bout du monde.
Depuis, Anne sa mère, l’attend et le guette, espérant sans cesse son retour, écrivant des lettres qui ne partent jamais faute d’adresse où les envoyer pour dire la joie de la fête qu’elle élabore dans sa tête pour le retour de l’enfant prodigue. Avec une langue extrêmement pudique bien qu’intensément douloureuse, Gaëlle Josse raconte ce temps qui passe. Le temps d’une longue impatience, celle du retour de l’enfant chéri. Le temps de l’absence aussi et surtout. L’absence de l’être aimé, l’absence de l’épouse à sa famille et à elle-même qui se réfugie, les jours, les mois et les années passant dans un silence de plus en plus profond, dans une contemplation hypnotique et psychotique, s’abîmant dans sa tristesse et ses joies espérées mais sans cesse déçues comme un marin s’abîme en mer. Il n’y a pas de sauvetage possible.

Rarement, un auteur parvient à nous prendre aux tripes comme c’est le cas ici. On est secoué par cette histoire d’une destruction inéluctable et plus encore par l’absence totale de rédemption qui dit la noirceur de vies dont le futile éclat ne fut qu’apparence.

Publié aux Editions Noir sur Blanc – 2018 – 192 pages